Lutte contre le racisme et toutes les discriminations

Perspectives féministes

Par Marie Jay

 

Ces dernières années, les forces réactionnaires et masculinistes, pourtant ferventes opposantes aux droits des femmes et au féminisme, ont senti le vent tourner. Voyant les aspirations des femmes à leur liberté devenir majoritaires, l'extrême-droite européenne (Marine le Pen, la Ligue du Nord italienne, le British National Party…) a pour nouvelle stratégie d'instrumentaliser la défense proclamée des femmes afin d'imposer leurs visées racistes et xénophobes. Alors que ces courants votent des lois contre les femmes et défendent un projet patriarcal, ils se déguisent en féministes dès qu'il s'agit de pouvoir stigmatiser des populations : cela a été le cas par exemple lors du débat sur l'entrée de la Turquie dans l'Europe, ou pour l'interdiction du burkini. Ce raisonnement selon lequel certaines cultures ou croyant.e.s seraient intrinsèquement réactionnaires, en opposition à des pays occidentaux dans lesquels le patriarcat aurait disparu, voile la réalité de la survivance de la domination et de l'exploitation des femmes, divise les femmes et les féministes en masquant leurs intérêts communs, et se diffuse insidieusement dans la société. 

En réaction, on peut observer également dans certains groupes politiques l'utilisation du combat antiraciste pour faire taire les revendications féministes. Des théories surgissent à nouveau pour diviser les femmes entre elles, et faire primer d'autres types de solidarités. Cela est le cas lorsque certain.e.s militant.e.s ont pu théoriser que les femmes devaient taire les agressions sexuelles lorsqu'elles sont le fait d'hommes eux-mêmes victimes de racisme. 

Dans toutes ces configurations, les femmes sont invisibilisées en tant qu'actrices de leurs conditions et leurs droits instrumentalisés. Le débat se résume à savoir qui, d'un clergé, de leur famille, de l’État, de leurs proches, doit décider de leur manière de se vêtir, de leur comportement, de leur liberté. Notre combat féministe doit viser au contraire à mettre les femmes au premier plan, leur donner conscience de leur situation commune et de leur force. 

Cela ayant été dit, l'approche féminisme-lutte des classes a des éléments d'analyse à apporter au combat contre le racisme et toutes les discriminations. En effet, la mondialisation néolibérale a transformé la division du travail au sein de la famille, du monde du travail, et entre la famille et le monde du travail, en lui donnant une nouvelle dimension : une division internationale du travail. Dans le cadre d'un développement inégal, les pays les plus pauvres fournissent aujourd'hui les nounous, les domestiques, en bref les travailleuses du care dont l'Europe a besoin. Pourtant, le discours dominant sur les travailleurs immigrés continue de se focaliser sur les hommes, quand les femmes issues de l'immigration sont vues comme des femmes opprimées, portant le voile, victimes de leur propre culture. Peu de choses sont dites sur leur travail ; puisqu'elles sont des femmes, elles sont invisibilisées en tant que travailleuses. Notre rôle est donc de lutter pour la reconnaissance des compétences mobilisées dans les métiers du care, à travers nos combats pour un salaire égal à travail de valeur égale. 

Plus encore, le féminisme doit permettre de donner une voie d'émancipation pour toutes les femmes. Cela signifie de prendre en compte les différences de parcours selon leurs origines, leur situation familiale, professionnelle… Il doit permettre à toutes les femmes de s'identifier et de se battre pour leurs droits, sans en laisser de côté et sans non plus rabaisser les exigences que nous avons au nom d'un différentialisme. L'horizon que nous devons avoir doit être de toujours penser à ce qui permet aux femmes de se libérer des contraintes patriarcales. Par exemple, si nous considérons que le voile est un instrument de domination des femmes, comme peuvent l'être les contraintes de beauté européennes, nous ne nous battons pas avec les réactionnaires pour l'interdiction du voile au travail ou à l'université, car cela conduirait à ramener les femmes dans la sphère domestique, et nous ne jugeons pas de la légitimité d'une femme à intervenir pour défendre ses droits à la longueur de sa jupe. 

Concernant les autres discriminations, par exemple celles touchant les personnes LGBT+, nous pensons que les luttes féministes, permettant de créer des brèches dans le capitalisme et le patriarcat, sont aussi une voie vers la libération de l'ensemble de la société. En bousculant les stéréotypes de genre et en détruisant les rapports de domination entre les femmes et les hommes, nous ouvrirons la voie pour inclure toutes les personnes broyées par ce système mortifère. 

Nous devons par-dessus tout éviter de tomber dans le piège d'une mise en opposition entre le féminisme et les discriminations racistes, homophobes, etc. C'est en adoptant une perspective féministe, sur l'ensemble des discriminations que nous combattons, que nous permettrons de leur donner une portée forte.