Constantes et « innovations » du « manifeste » de Marine Le Pen

Le 15 avril dernier, la cheffe du « Rassemblement national » (ex-FN) a présenté au Parlement européen son « Manifeste pour l’Alliance européenne des Nations » : 75 pages pesantes, censées définir la nouvelle (?) « vision » de l’Europe du parti lepéniste. Qu’en retenir ?

Nationaliste, belliciste, anti-migrants

Parmi les thèmes de prédilection de ce pensum figurent en bonne place « le rétablissement des frontières nationales » ; « une identité interne définie » ; la glorification de la France, « puissance centrale et rayonnante » ; « l’enracinement » par opposition au « nomadisme » ; l’exigence d’un « juste retour » en matière de contribution au budget européen, et notamment la remise en cause des « fonds de cohésion » aujourd’hui financés par les États membres les plus riches au profit des plus pauvres ; la fustigation de la Cour européenne des droits de l’homme, accusée de « contredire le droit des États à se protéger » ; le rejet absolu de « l’universalisme », cette « agression » à laquelle les peuples ont « toutes les raisons (...) de ne pas sacrifier leurs traditions, leur foi ou leur identité », car « tous les hommes ne sont pas les mêmes ». C’est pourquoi « l’Alliance défendra un modèle (...) qui appelle la séparation de l’Europe et des Européens de ce qui n’est pas elle, de ce qui n’est pas eux »... Des phrases qui font froid dans le dos.

Il s’agit en particulier de « refuser l’injonction multiculturaliste », cette « agression contre laquelle toute l’Europe doit organiser la résistance ».

Aussi, « l’Alliance européenne des Nations aidera (?) les Nations qui le souhaitent à résister aux opérations de corruption dont elles sont victimes pour ouvrir leurs frontières, pour abandonner les critères de nationalité dans l’accès aux systèmes sociaux, pour détruire leurs solidarités et leur mutualités nationales ». Car, est-il souligné, l’ouverture des frontières « promet l’Europe au naufrage démographique, écologique et culturel ».

D’une façon générale, le rétablissement de « l’autorité de l’État » mettra fin au « sentiment de submersion (qui) fait de chacun un étranger sur son propre sol », étant entendu que « chaque Nation (...) devra compter (...) sur les moyens européens comme Frontex », par exemple lors « d’un de ces nouveaux modes d’agression que sont l’envoi en masse de migrants sur les côtes européennes, l’implantation de réseaux criminels ou l’action d’ONG fragilisant les gouvernements légitimes » tel SOS Méditerranée accusée de « formatage des esprits ». Pas vraiment de quoi fâcher le vieux Le Pen, qui se reconnaîtra, par ailleurs, tout autant dans des tirades de faucon du type - à propos de « la guerre » - : « les Européens ont massivement renoncé à la faire, à s’y préparer, à la gagner », tandis que « l’Alliance européenne des Nations devra désigner l’ennemi à combattre et à vaincre »...

Échec sur l’euro, écologie : le RN travesti

Il faut attendre les toutes dernières pages du « Manifeste » pour que tombe, au détour d’une phrase, un constat d’échec stratégique à propos de ce qui fut longtemps une pierre angulaire du programme lepeniste : la sortie de l’euro. « Les Français ont montré qu’ils restent attachés à la monnaie unique ». Exit le Frexit ! Problème : pendant la campagne présidentielle, la présidente du Front national* affirmait sur Europe 1**  que « 70 % de (son) projet ne pourraient être mis en œuvre » sans la sortie de l’euro.

De mauvais esprits en concluront que le programme du RN a un petit problème de crédibilité... Quant à son déguisement écologique, il laisse vite transparaître le brun sous le vert : « le meilleur allié de l’écologie, c’est la frontière », expliquait, le 7 avril dernier, Jordan Bardella, tête de liste RN pour les élections européennes. Chassez le naturel... « Lutter contre les déficits » ; « libérer les entreprises » ; « permettre aux investisseurs de se projeter dans le monde »...l en va de même pour l’économie : il suffit de gratter un peu le discours pseudo antilibéral purement tactique qui décore le texte pour qu’apparaisse le fond profondément néolibéral du FN/RN (et qui caractérise la pratique de l’extrême droite partout où elle accède au pouvoir). Ainsi le RN entend-il « libérer les énergies », « encourager l’épargne », « lutter contre les déficits », « refuser les facilités du crédit » et « placer chaque Nation européenne face à ses responsabilités » en luttant contre « l’union des transferts ».

Cela nous rappelle de sombres tirades des pires « ténors » de l’Europe libérale ! Quant à la volonté affirmée de « créer des champions français nationaux en Europe et des champions européens sur les marchés mondiaux » pour que « des géants européens (puissent) se battre à armes égales avec leurs vrais concurrents », elle ira droit au cœur de nombre de vedettes du CAC 40 ! Comme « opposante » au libéralisme d’Emmanuel Macron, on fait mieux...

Pour couronner le tout, le RN n’hésite pas à galvauder des formulations «empruntées » sans scrupule au Parti socialiste européen sur le « juste échange » censé remplacer le « libre-échange », aux Verts en paraphrasant leur « protectionnisme vert », ou aux communistes dont il dénature grossièrement la notion constructive et pacifique d’ « Union de nations et de peuples souverains et associés » en évoquant une « Alliance d’États-Nations souverains » et « associés », avec une France à la « puissance recouvrée », au service d’un « projet fondé sur une évaluation réaliste des risques de guerre sur et autour du continent européen ». Vous avez dit : « dédiabolisation » ?

 

Francis Wurtz

Député européen honoraire

* https://www.huffingtonpost.fr/news/FRONT-NATIONAL/

* http://www.europe1.fr/politique/marine-le-pen-en-france-il-y-a-une-vision-religieuse-de-leuro-3196238