Education • La conception du métier d’enseignant

« Face aux tentations managériales et autoritaires qui se développent pour encadrer et corseter le métier d’enseignant au service d’une politique néolibérale, le statut de fonctionnaire dont relèvent les enseignants est à la fois la garantie d’un exercice responsable et citoyen de leur métier et la réponse aux besoins d’un service public assurant à tous l’accès à une éducation de qualité. (1) » C’est ainsi que débute le premier article du numéro 22 de la revue Carnets Rouges qui vient de paraître sous le titre Libertés et responsabilités pour une école démocratique.

La problématique est ainsi posée qui rétablit, et cela est de plus en plus nécessaire, un cadre de réflexion sur un sujet très largement instrumentalisé par le ministre de l’Éducation nationale et ceux qui le servent : c’est bien le projet politique qui définit la conception du métier d’enseignant en tant qu’elle est indissociable d’une réflexion sur la démocratisation scolaire. Ce numéro de la revue s’attache aux relations dialectiques entre libertés, responsabilités, démocratie scolaire en cette période d’accélération des mécanismes de contrôle du métier d’enseignant, de chasse aux sorcières à l’université et de creusement des écarts entre les élèves selon leur origine socio-culturelle.

En tant que fonctionnaires, les enseignants ont des droits et des devoirs indissociables. Les modalités d’exercice de leur métier ne relèvent pas de leur bon vouloir mais s’inscrivent dans une histoire collective, où l’intérêt général est garanti par le service public d’éducation : l’accès aux savoirs de tous les élèves implique une conception de la liberté pédagogique, fondée sur l’indépendance de l’enseignement (savoirs académiques, didactique et pédagogie), la construction d’une culture professionnelle en mesure de répondre aux exigences démocratiques.

Encore faut-il que le statut de la fonction publique soit respecté pour que les enseignants puissent exercer leur métier en pleine responsabilité, qu’ils soient considérés comme des citoyens à part entière, en charge de la formation des futurs citoyens.

Or, de la maternelle à l’université, les ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ne cessent de mettre sous tutelle l’agir enseignant, de museler la parole des chercheurs, de mener une honteuse chasse aux sorcières. Les enseignements eux-mêmes sont instrumentalisés à des fins politiciennes tel l’enseignement du « roman national », ou encore parcellisés, fragmentés, interdisant toute réflexion critique. Les programmes se succèdent dans une accumulation grandissante de connaissances. Le pilotage du système par l’évaluation et la conception cumulative des savoirs participent de logiques de concurrence effrénée pour une sélection plus efficace. C’est au nom de « vérités scientifiques » soigneusement sélectionnées que sont imposés des choix didactiques et pédagogiques dénoncés par les professionnels, jusqu’à imposer des méthodes officielles (l’apprentissage de la lecture). Les libertés académiques sont entravées avec une violence inégalée (accusations de séparatisme, de complicité terroriste qui abîme les personnes. La pensée n’est plus à l’ordre du jour et les menaces de sanctions disciplinaires sont là pour le rappeler.

De la maternelle à l’université et dans des formes différentes, le message est clair : perdant toute souveraineté sur leur métier, empêchés d’exercer leurs droits de citoyens, les enseignants sont assignés à exécuter la politique ministérielle. À l’ordre du jour, l’assujettissement et la prolétarisation.

Au-delà de la nécessaire dénonciation d’une politique éducative particulièrement dangereuse, peu respectueuse des cadres institutionnels légaux, les contributions à ce numéro mettent en débat une dynamique collective de transformation (curricula ou programmes, coopération, restauration de liens entre professionnels de terrain et chercheurs, légitimation du genre professionnel, mise en place de collectifs de travail souverains, mission d’acculturation de l’école, afin que les inégalités sociales ne deviennent des inégalités scolaires et réciproquement…). La souveraineté dans le travail ouvre des possibles pour une école démocratique qui favorise la construction d’histoires individuelles et collectives, dans une perspective d’émancipation intellectuelle et sociale.

Christine Passerieux

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1. Gérard Aschieri, enseignant, fonctionnaire et citoyen, Carnets Rouges n° 22.

Libertés et responsabilités pour une école démocratique N° 22 de la revue Carnets Rouges