Gilets jaunes

Le lundi 11 mars, s’est tenue, au siège du Parti, une soirée d’étude du Conseil national sur le mouvement des gilets jaunes, en collaboration avec Cause commune, Espaces Marx et la Fondation Gabriel-Péri.

À cette soirée, deux études ont été présentées et discutées : « le soutien au mouvement des gilets jaunes », coordonnée par Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, Sciences Po–USPC, à partir de la vague 10 du baromètre de la confiance politique du Cevipof (13-24 décembre 2018), « Les gilets jaunes sur les ronds-points », par Yann Le Lann, maître de conférences en sociologie à l’université de Lille, coordinateur de l’enquête du collectif Quantité critique, et président d’Espaces Marx.

Pour voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=0z8q9gukiBM&feature=youtu.be

Pierre Laurent, président du Conseil national, a, en introduction, présenté les deux enquêtes qui interrogent directement le Parti, ses militant·e·s, sur l’état de notre société, du mouvement social, les antagonismes de classes...

Les chaînes d’information ont présenté les soutiens du mouvement des gilets jaunes comme l’expression d’un ras-le-bol des territoires péri-urbains braqués contre la taxe sur les carburants. Pour Yann Le Lann : « Le mouvement a eu l’intelligence de subvertir cette audience pour déplacer la revendication vers des enjeux de salaire et de retraite qui sont devenus le cœur de leur plateforme. À nos yeux, c’est donc la question de la reconnaissance du travail qui est en jeu. Ceux qui se mobilisent sont des salariés qui n’ont pas les moyens de se mettre en grève. Parce que leur budget est trop contraint ou parce qu’ils n’ont pas les ressources politiques autour d’eux pour porter une revendication salariale auprès de leur patron. Ou parce qu’ils ont déjà fait l’expérience d’une négociation salariale qui a échoué... »

Cette soirée a permis de mettre en lumière des points de convergences. Ce sont la critique du gouvernement et la dénonciation d’une politique économique du pays qui soudent les gilets jaunes comme leurs soutiens. Nous sommes face à un mouvement dans ses soutiens, comme dans ceux/celles qui l’animent, clairement avec des revendications anticapitalistes. Demande de changer de système, meilleure égalité et répartition des richesses, demande d’être respecté.

Selon les deux études, c’est le « retour » à la lutte des classes.

Ceux qui se mobilisent sont souvent dans la précarité (chômeurs, CDD, retraités, petits salaires dans des PME/TPE). Ils et elles se politisent dans l’action et dans le soutien. Les gilets jaunes ont appris à s’organiser et à bousculer les « traditions de luttes », en faisant leur journée le samedi pour permettre aux salariés de ne pas perdre de salaire, en occupant les ronds-points, et non leurs lieux de travail, ou les places publiques, et en s’installant dès le départ dans la durée. Une autorégulation se construit en empêchant l’émergence de leader et en mettant « sous couvercle » les sujets qui fâchent ou qui ne font pas consensus, comme l’immigration par exemple.

Un mouvement à lire dans ses contradictions

Des thématiques de la gauche émergent : pour l’augmentation des salaires, la nationalisation des autoroutes, la lutte contre l’évasion fiscale, le rétablissement de l’ISF, le contrôle du CICE avec contrepartie. Mais il semble que les mouvements populistes et d’extrême droite marquent également des points. La méfiance vis-à-vis des corps intermédiaires comme les syndicats, les partis ou mouvements politiques est entretenue. Le patronat n’est pas responsable de la situation. Les petits patrons étant considérés comme se battant pour sauver leurs entreprises et leurs employés, et étant accablés de charges. L’impôt interroge. La violence est assumée avec un certain fond poujadiste. La demande de démocratie directe, la critique parfois radicale de la démocratie représentative et des élites, en bref l’émergence d’un populisme fort semblent appeler une explication dans les termes d’un nouveau clivage entre les malheureux et les heureux, clivage qui viendrait renouveler les grilles de lecture des mouvements sociaux.

Sur les suites du mouvement et leurs implications politiques dans les semaines, mois, années qui viennent :

Luc Rouban est assez pessimiste, puisqu’il pense que face aux morcellements idéologiques et politiques à gauche, le mouvement des gilets jaunes prend la pente du mouvement Cinq étoiles en Italie et d’un rapprochement avec l’extrême droite. « Le mouvement des gilets jaunes a donc réactivé la vie démocratique, tout en récupérant une partie des électeurs qui se tenaient à distance de la vie politique. Mais le centre de gravité des valeurs situe sinon le mouvement lui-même, du moins son soutien le plus déterminé, du côté du populisme de droite. C’est ici que l’on peut apercevoir le cheminement de ce qui risque d’arriver en sortie de crise. Une forme de rassemblement à l’italienne qui commence par le Mouvement 5 étoiles et qui se termine par la suprématie de la Ligue. On peut alors émettre l’hypothèse selon laquelle le mouvement des gilets jaunes devient, dans ce cadre, le « passeur » du populisme RN en le désenclavant de la situation de blocage sur laquelle le macronisme a pu élaborer sa stratégie électorale. »

Sans nier les dangers, Yann Le Lann est plus pondéré. Selon lui, c’est plus ouvert parce que les idées de gauche, et notamment celles portées par le Parti, font leur cheminement. Mais aussi parce que nombre de gilets jaunes ont fait connaissance avec des syndicalistes et ils/elles saluent le travail de la CGT dans ce domaine.

Julien Zoughebi

Pour voir la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=0z8q9gukiBM&feature=youtu.be