Le groupe « Octobre » – Un théâtre rouge au temps du Front Populaire 1/6

De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

On est au début des années 30, exactement en mars/avril 1932. La crise sociale est violente (misère, chômage). L’extrême droite s’active (en Allemagne, Hitler est aux portes du pouvoir) et la vie politique est tendue (des élections législatives sont prévues en mai). Un petit groupe de jeunes gens, acteurs amateurs, membres ou proches du PCF pour la plupart, veut participer à sa manière à l’action ouvrière, aux meetings politiques. Ils ont entendu parler des formes d’action dites « d’agit-prop » telles qu’elles se pratiquent outre-Rhin ; ils veulent eux aussi faire du théâtre social. Non seulement pour accompagner la campagne électorale des communistes mais pour pouvoir commenter en permanence, à leur manière, l’actualité économique et sociale. Leur histoire a été racontée notamment dans l’ouvrage de Michel Fauré, « Le groupe Octobre » (Christian Bourgois, 1977). Dans cette équipe, le plus actif est sans doute Raymond Bussières (25 ans). Il a un petit cheveu sur la langue comme on dit mais qu’à cela ne tienne, il veut absolument jouer la comédie. Lui et ses amis fréquentent alors une troupe de théâtre appelée « Prémices » ; ils trouvent que cette compagnie travaille bien mais ils n’aiment pas les textes. « On ne voulait pas faire du théâtre mais la Révolution… », dit carrément Bussières. Ils font donc sécession et créent « le groupe de choc Prémices ». Ils doivent bien sûr affronter des questions d’organisation, d’intendance mais leur gros souci, c’est le manque de textes percutants, ils ont besoin d’écrits politiques, rouges. « Il nous fallait des textes de circonstances pour aller sous les préaux d’école appuyer les thèmes de la campagne électorale développés par les orateurs », dit une des membres du groupe, Arlette Besset (18 ans). Ils vont alors solliciter Paul Vaillant-Couturier. Besset parle ainsi de lui : « C’était un personnage fascinant, romantique, enthousiaste, cultivé, éloquent et désintéressé qui avait le don de convaincre et de galvaniser les énergies ». Mais le rédacteur en chef de L’Humanité, également poète, écrivain, peintre (entre autres…) est surchargé de travail ; il leur suggère de discuter de leur projet avec Léon Moussinac, spécialiste de l’histoire du théâtre et critique de cinéma reconnu. Ce dernier leur conseille alors de contacter « un gars très marrant, qui a l’air très bien » : il s’appelle Jacques Prévert. À l’époque celui-ci est apprécié d’un petit cercle d’initiés mais il n’a publié qu’un texte ( « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France »). L’entrevue se passe chez le poète, rue Didot dans le 14e. « Nous étions assez intimidés de cette démarche chez un inconnu, dit Besset, mais forts de la valeur de nos idées et de nos objectifs. Nous savions ce que nous voulions : un sketch sur la presse, fait avec les coupures de journaux de l’époque – ma profession consistait alors à effectuer tous les matins un résumé de revue de presse – illustrant les thèmes de propagande : le capitalisme amène la guerre et la misère ; la social-démocratie a deux visages (l’un, démagogique ; l’autre au service du capital)… »

Un autre témoin de la réunion ajoute : « On lui débite notre histoire à savoir qu’on voudrait un texte sur la presse, en insistant sur le sens de notre démarche et en précisant d’où nous venons. Voulant s’assurer de fabriquer quelque chose qui puisse nous convenir par la manière et le style, il va chercher un manuscrit et commence à nous lire une histoire. C’était cocasse, déconcertant, désopilant, inattendu, un peu à la Marx Brothers. Très curieusement, cela jurait avec l’idée de lui qu’imposait d’abord son personnage. Des yeux globuleux, sous une frange de cheveux coupés court sur le front, un air plutôt sérieux, sinon triste, un peu lunaire à la Buster Keaton, la voix grave, le ton monocorde, enfin le contraire exactement de ce que son esprit baroque peut suggérer. L’accord fut immédiat… »

C’est ainsi qu’à la fin du mois d’avril, Jacques Prévert, accompagné de Jean-Paul Le Chanois (futur cinéaste) et de Louis Bonin (alias Lou Tchimoukov), un petit génie de la scénographie, vient remettre à Bussières et ses amis un texte intitulé « Vive la presse ». Cette rencontre marque le début du groupe « Octobre » qui ne porte pas encore ce nom. Ajoutons, pour la petite (et grande) histoire, que ce rendez-vous se passe dans une salle de la CGTU, avenue Mathurin-Moreau, très exactement à l’emplacement de ce qui sera plus tard le siège du PCF, place du colonel Fabien. 

Gérard Streiff

 

Illustration : Raymond Bussières (dit Bubu), Annette Poivre, Cannes 14 juin 1948