Le groupe « Octobre » – Un théâtre rouge au temps du Front Populaire 2/6

De 1932 à 1936, un groupe amateur de jeunes acteurs et actrices, communistes de cœur ou de carte pour la plupart, va monter une série de spectacles militants ébouriffants, créés par Jacques Prévert.

C’est à l’occasion d’une répétition du sketch « Vive la presse », alors que la troupe se cherche un nom, que Lou Tchimoukov propose « Octobre ». L’intitulé s’impose immédiatement à tous, la référence à la révolution russe est éclatante. Comme dit Bussières, on a choisi ce nom « pour qu’il n’y ait pas de gourance ». « Vive la presse » dénonce allègrement, férocement les tares de la presse bourgeoise.

Le scenario est de Jacques Prévert, Jean-Paul Le Chanois joue le rôle du capitaliste, Jacques Prévert lui-même incarne le vendeur de « L’ami du peuple », Paul Grimault (futur auteur de dessins animés) celui de « L’intransigeant », Raymond Bussières vend « Le populaire », etc. Les décors et les costumes sont dans un premier temps assez rudimentaires mais l’équipe invente vite des formes nouvelles. Bussières par exemple, qui représente le journal socialiste, arrive avec une veste rouge puis, son discours fait, il quitte la scène en criant « Au revoir camarades ! » tout en retournant sa veste. Le Chanois joue le capitaliste avec un haut de forme, une redingote et un cigare. Jacques Prévert a du mal à se tenir à son propre texte et improvise volontiers. Le Chanois raconte : « Le seul acteur indiscipliné de la troupe, c’était Jacques Prévert. À chaque représentation, il changeait le texte. Comme je connaissais « Vive la presse » par cœur, j’essayais de le ramener à son texte, excellent, bien écrit. Mais, chaque fois, il partait sur quelque chose de différent. Comme il voyait que le public croulait de rire, il continuait et la scène durait un quart d’heure de plus. Cela avait un effet de surprise considérable sur le public. Les gens n’avaient guère l’habitude ni de Prévert ni de ce genre de spectacle. Comme c’était drôle, on enlevait le morceau à tous les coups. »

C’est à la Fête de l’Humanité de 1932 que le spectacle, donné gratuitement comme toutes les représentations d’Octobre d’ailleurs, est présenté pour la première fois. Gros succès, qui va se répéter à maintes reprises au fil des mois. Le chœur final fait un triomphe, il est même repris dans les manifestations :

« …Attention, camarades, attention Mourir pour la patrie, c’est mourir pour Renault Pour Renault, pour le pape, pour Chiappe, Pour les marchands de viande, Pour les marchands de canon. »

D’emblée la pièce assure une forte réputation au groupe Octobre. Les amis de Prévert s’associent à l’aventure, son frère Pierre Prévert bien entendu, lui-même auteur de plusieurs sketches pour la troupe (comme « Un brave homme »), Marcel Duhamel, futur patron de la Série noire, Yves Allégret, poète surréaliste devenu cinéaste, etc. La troupe est désormais forte d’une trentaine de membres ; il y a un noyau dur, beaucoup de passages et une foule d’amis qui peuvent monter sur scène pour un unique spectacle.

S’il existe alors plusieurs troupes d’amateurs qui, sous forme de chœur parlé, évoquent les événements politiques (« Masses », « Combat » par exemple), Octobre se distingue par ses textes et sa mise en scène. La troupe participe aux grandes manifestations politiques et sociales, elle commémore la semaine sanglante de la Commune où elle entonne un poème de Prévert :

« …Vingt mille morts Mais de tout ce sang répandu Pas une seule goutte n’est perdue Pas une seule goutte… »

Marcel Duhamel dira par la suite : « Nous jouions comme nous aurions vendu l’Humanité. »

Cette activité transforme Jacques Prévert. « Le groupe Octobre représenta pour les frères Prévert un grand espoir en même temps qu’un vigoureux apprentissage : le moyen de faire la révolution tout en écrivant et en faisant du théâtre », écrit Gérard Guillot dans « Les Prévert ». Jacques Prévert était jusque-là un homme de la parole, « un bavard de génie », disait-on, à présent il jette son œuvre sur le papier. « Jacques Prévert a subi une métamorphose, observe l’historien Guillaume Hanoteau. Il a troqué la parole contre la plume. Désormais il écrit. Il écrit beaucoup et vite. »

Ainsi il rédige en une nuit une pièce antiguerre, antimilitariste, anti-marchands de canon : « La Bataille de Fontenoy ».