Libye : Mettre un terme à l'escalade de la violence

L'intervention occidentale a provoqué le chaos

Dans le sillage "des printemps arabes", des émeutes éclatèrent à Benghazi en février 2011 contre le régime de M. Khadafi au pouvoir depuis 1969. Un Conseil national de transition s'installa en Cyrénaïque (Est) alors que la Tripolitaine (Ouest) subissait une violente répression contrecarrée progressivement par des milices concurrentes qui investirent la capitale. En mars, des frappes franco-britanniques, appuyées par les Etats-Unis et sous les auspices de l'OTAN, déclenchèrent un engrenage militaire précipitant la chute de Khadafi en octobre et un chaos généralisé dans le pays. Cette situation déstabilisa l'ensemble du Sahel provoquant une vague migratoire.

Alors que l'Etat faillissait, deux autorités rivales s'intallèrent en Cyréanique (maréchal Haftar) et en Tripolitaine, tandis que le territoire se divisait en fiefs multiples dans lesquels les réseaux djihadistes, coordonnés de Turquie, tentèrent d'interférer. Tous s'affrontent pour le contrôle des champs pétrolifères, le trafic d'êtres humains et l'octroi de la manne des pays du Golfe. Parallèlement, dans les zones sahariennes du Fezzan (Sud), un autonomisme des tribus émerge facilitant tous les trafics criminels.

Dans ce contexte, la Libye devint le champ clos de rivalités des pétromonarchies. L'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis (EAU) et l'Egypte soutenant le maréchal Haftar tandis qu'une ligue de différents groupes de la Tripolitaine jouit de l'appui du Qatar et de la Turquie. La France et l'Italie s'opposent aussi pour le contrôle du pétrole.

Les élections de 2012 furent remportées par une coalition menée par M. Jibril, allié des EAU et hostile aux Frères musulmans. L'incapacité de l'assemblée élue à former un gouvernement fonctionnel conduisit à un nouveau scrutin en 2014 invalidé par un tribunal renforçant la dualité territoriale des pouvoirs. Le gouvernement d'Union nationale (GNA) de Faiëz Sarraj à Tripoli est alors reconnu par la communauté internationale comme étant le seul légitime.

La confusion favorisa l'implantation de Daesh dans la région de Syrte dès 2015 avec son cortège d'exactions. Une nouvelle intervention armée occidentale, en liaison avec les milices de Misrata et du maréchal Haftar, permit l'écrasement de l'Etats islamique qui pérennisa des foyers dormants dans le Fezzan. Le champ d'intervention de l'Europe s'étendit aussi à la question des migrants afin d'empêcher leur départ des ports de la Tripolitaine. A grand renfort d'argent, l'UE externalisa leur gestion à des tribus qui continuent à se livrer à des crimes à leur égard.

Une nouvelle escalade de violence

Les accords de Paris du 16 septembre 2018 en vue d'organiser un scrutin présidentiel n'ont pas pu se concrétiser en raison des violences récurrentes et des intérêts contradictoires des différents acteurs.
Depuis plusieurs mois, le maréchal Haftar élargit sa zone d'influence dans les régions méridionales. Le 4 avril, ce "seigneur de guerre", a lancé une offensive meurtrière sur Tripoli afin de renverser le GNA. En onze jours, elle a déjà fait près de 150 victimes, plus de 600 blessés et 17 000 déplacés. Cette opération ruine tous les efforts de paix de l'ONU et les négociations qui devaient s'ouvrir mi-avril à Ghadamès ont été ajournées. Dans ces combats, qui ramènent la Libye cinq ans en arrière, la France porte une lourde responsabilité avec les chancelleries européennes. Elles ont fait d'Haftar un acteur de référence pour combattre le terrorisme. L'attitude de la France au Conseil de sécurité encourage ce coup de force. Or le maréchal Haftar conduit aujourd'hui l'opération avec l'aval de l'Arabie saoudite avec l'espoir de rallier les groupes salafistes liés à Riyad. Il ambitionne de prendre d'assaut Tripoli, de renverser le GNA et de remporter une victoire rapide afin d'instaurer un régime autoritaire à l'égyptienne.

Ses adversaires du GNA n'ont pas eu les moyens juridiques et financiers pour exercer leurs prérogatives et ont composé avec les milices rapaces qui tiennent Tripoli. Celles-ci se coordonnent pour lancer une contre-offensive. Cette escalade périlleuse fait planer un risque d'embrasement et hypothèque les tentatives pour trouver une issue politique à la crise.

Le peuple libyen aspire à la paix

Tous les acteurs conviennent qu'il n'y a pas de solution militaire au conflit mais cela n'a pas empêché les puissances de jouer des rivalités et de souffler sur les braises afin de déployer leur capacité de nuisance. Encore une fois, le peuple libyen fait les frais de la violence et des ingérences. Il lui appartient pourtant de construire son avenir d'autant qu'une claire conscience des issues converge. Si les particularismes locaux demeurent marqués, les revendications autonomistes ou indépendantistes restent minoritaires car les Libyens expriment un fort attachement à l'unité nationale. Dans le même esprit, ils rejettent les ingérences extérieures. La population aspire à une reconstitution d'un Etat avec des institutions fortes et souveraines. La lutte contre la corruption, le rétablissement de services publics et sociaux sont perçus comme une priorité. La volonté de réconciliation traverse aussi la société. Une autre préoccupation majeure porte sur la reconversion des groupes armés. Ceux qui ont une vocation idéologique ou mafieuse devront être désarmés.

Pour cela le peuple doit être consulté dans la perspective d'une conférence nationale. L'autorité des pouvoirs locaux est reconnue car ils ont permis de préserver le tissu social. Ils peuvent servir de socle pour bâtir une paix durable.

Le Parti communiste français exprime sa solidarité avec le peuple libyen. Il appelle à la cessation immédiate des combats. Les rivalités de puissances qui nourrissent les violences, alimentent les ressentiments, accroissent les inégalités et le djihadisme doivent cesser.
Le PCF appelle à soutenir les efforts du secrétaire général de l'ONU afin de trouver une issue pacifique à cette crise qui n'a que trop duré.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient