Referendum en Egypte : un pas de plus dans la terreur

Un référendum pour renforcer les pouvoirs du président et de l'armée

Les Égyptiens ont été convoqués dans la seconde quinzaine d'avril pour adopter un projet de réforme constitutionnelle validée par le Parlement une semaine auparavant. Cette révision controversée vise exclusivement à renforcer les pouvoirs du président et de l'armée. Le maréchal Al-Sissi voit ainsi son second mandat prolongé de quatre à six ans et cela lui donne l'opportunité de se présenter pour un troisième mandat. Ainsi, il pourrait demeurer au pouvoir jusqu'en 2030 sans avoir aucun compte à rendre devant des instances représentatives qui n'existent plus. Enfin, le président voit son contrôle sur le Sénat et la magistrature se renforcer.

La campagne s'est déroulée dans une ambiance de terreur pour les opposants puisque 120 d'entre-eux ont été incarcérés. Le pouvoir a offert des transports gratuits et distribué des colis alimentaires pour les votants. Au travers de médias totalement inféodés, le maréchal Al-Sissi n'a pas cessé de justifier cette réforme par la nécessité d'installer la stabilité et de poursuivre la lutte contre le terrorisme.

La simple lecture des résultats, connus d'avance, ôte toute crédibilité et légitimité à ce scrutin. La participation demeure faible (44,3% des inscrits), en dépit des pressions exercées par le pouvoir, et le "oui" l'emporte avec 88,8% des exprimés. Quatre millions d'Egyptiens ont tout de même eu l'immense courage de glisser un bulletin "non".

Une génération promise à une vie d'austérité économique

Après les soulèvements populaires de 2011 et 2013 qui chassèrent successivement Hosni Moubarak et Mohamed Morsi du pouvoir, l'armée par un coup d’État, s'est emparée de la direction du pays. Depuis le désenchantement a gagné de larges franges de la population car la situation économique et sociale n'a jamais été aussi mauvaise. L'économie est désormais sous perfusion dans la mesure où l'endettement a atteint en 2018, 103% du PIB alors que les principales ressources du pays se tarissent : tourisme, transferts provenant des immigrés, hydrocarbures... La corruption gangrène le pays, l'effondrement de la livre égyptienne renchérit les importations, provoque des situations de pénuries et une spirale inflationniste tandis que le chômage demeure à un niveau élevé. La pauvreté est devenue la caractéristique du peuple égyptien.

Le pouvoir met en avant des grands chantiers comme le doublement du canal de Suez et le développement de sa région attenante, l'édification d'une nouvelle capitale administrative, la construction de 6000 km d'autoroutes ou d'une grande cité militaire. Certes ces projets ont stabilisé la situation d'un point de vue macro-économique mais ne profitent qu'à l'armée et à une nouvelle classe d'hommes d'affaires.

Après l'épuisement des subsides des pays du Golfe, le gouvernement s'en est remis au FMI et a accepté les plans d'ajustements structurels en échange d'un prêt de 12 milliards de dollars. Les politiques d'austérité se sont alors déchaînées avec la libéralisation du régime des changes et une forte dévaluation, la suppression des subventions énergétiques qui ont entraîné l'augmentation des prix des carburants et de l'électricité, l'instauration de la TVA ainsi que de nombreuses suppressions d'emplois dans la fonction publique.
L'économie égyptienne est désormais au bord de l'abîme mais le régime s'enferme dans une rhétorique du vide restant sourd aux revendications populaires.

La pire crise des droits humains

Pour endiguer toutes formes de contestation, le pouvoir s'est engagé dans une implacable reprise en main autoritaire et l'armée est devenue le fer de lance de cette contre-révolution. La farce de l'élection présidentielle de mars 2018 avait déjà conduit à l'arrestation de candidats ou à l'impossibilité pour d'autres de se présenter. Le régime s'inquiète aussi du regain de révoltes dans le monde arabe notamment en Algérie et au Soudan et pour lesquelles les Égyptiens manifestent un immense intérêt. Ces mouvements heurtent de plein fouet les discours sécuritaires du président Al-Sissi.

L'appareil de sécurité, doté des armements les plus sophistiqués, tente par tous les moyens de dissuader tout mouvement populaire par des campagnes d'intimidations et de violence. La torture est une méthode de gouvernance, comme les disparitions forcées (1530 personnes de 2013 à 2018) ou les exécutions sommaires.

Les organes d'Etat et plus particulièrement la magistrature mais aussi le domaine législatif sont mobilisés. En ayant recours à une justice d'exception ou à des tribunaux militaires qui ne respectent jamais les procédures, les procès qui se déroulent sont de véritables parodies. Des centaines de peine capitale ont été prononcées depuis 2013. La situation est aujourd'hui pire que sous H. Moubarak. Quant au Parlement, il criminalise toutes critiques contre le chef de l’État et a adopté des lois restrictives limitant la liberté d'expression.

C'est donc bien une entreprise qui vise à discipliner la société qui est à l’œuvre. Tous les contre-pouvoirs ont été éliminés. On compte à ce jour plus de 60 000 prisonniers politiques : des syndicalistes, des démocrates, des universitaires, des journalistes, des blogueurs. Les ONG et les associations de défense des Droits humains sont persécutées et tout ceci au nom de la lutte contre le terrorisme.

Les médias sont muselés et placés sous le contrôle de l'armée interdisant désormais tout débat contradictoire alors que la propagande du régime sature l'espace public.

Le pouvoir remet aussi à l'ordre du jour les valeurs conservatrices et militaristes. S'appuyant sur l'ancrage des convictions religieuses et la méfiance d'une partie de la population à l'égard de toutes formes de sécularisme, le pouvoir a renoué avec de nombreuses organisations qui promeuvent l'islamisme. Toute une série de mesures rétrogrades en matière de moeurs se sont imposées. Les chrétiens coptes, qui constituent 10% de la population, subissent de lourdes discriminations. Ils ne bénéficient d'aucune protection contre les attaques sectaires tandis que les auteurs d'exactions ou de crimes ne sont jamais poursuivis. Il en va de même pour les athées ou les chiites. Les violences à l'égard des femmes et des jeunes filles atteignent des records. Les violences sexuelles ou le sexisme demeurent impunis alors que les mutilations génitales ont repris leur courbe ascendante tandis que les organisations féministes sont interdites. La communauté LGBT est également particulièrement visée et que dire des violences faites aux migrants...

Il ne s'agit donc pas d'une simple reprise en main autoritaire mais celle-ci revêt aussi un caractère idéologique. Les dirigeants semblent confiants dans leur capacité à entraver les mouvements contestataires si bien que l'Egypte connait sa pire crise en matière de droits humains et s'apprête à vivre de nouvelles heures sombres. Pour autant la révolte gronde et cette réaction autoritaire est d'autant moins tolérée que les Égyptiens sont éreintés par la crise économique et qu'ils ont goûté à la liberté d'expression avec les révolutions.

Les alliés de l’Égypte ne trouvent rien à redire sur cette situation. Récemment, D. Trump a félicité le maréchal Al-Sissi pour son œuvre alors qu' E. Macron s'est tu durant ses entretiens avec le dirigeant égyptien.

Une Égypte marginalisée sur le plan international

La politique étrangère du président Al-Sissi est désormais marquée par le suivisme des pétromonarchies du Golfe sous supervision américaine. Des alliances ont aussi été nouées avec la France, l'Allemagne et la Russie. Ces liens sont tous marqués du sceau de la dépendance aussi dynamique et contraignant qu'avant la décolonisation.

Depuis 2013, la situation sécuritaire s'est aggravée. Les menaces djihadistes, jusqu'alors circonscrites au nord du Sinaï, se sont étendues à l'ensemble du pays. A cela il faut ajouter les divergences d'approche dans la gestion des eaux du Nil avec l’Éthiopie mais aussi l'instabilité de la frontière libyenne.

En dépit d'un rapprochement avec Moscou et Pékin, l’Égypte reste fermement ancrée dans le camp des alliés sunnites des États-Unis et entretient de bonnes relations avec Israël. Tel-Aviv mène des actions conjointes dans le Nord du Sinaï contre le groupe Wilayat Sinaï qui a fait allégeance à l’État islamique. Cet alignement de l'Egypte participe d'une reconfiguration du Moyen-Orient. La cession des îles de Tiran et Sanafir à l'Arabie saoudite est le point de départ de la "transaction du siècle" sur le dos des Palestiniens. Cela s'accompagne d'une militarisation croissante de l'Est de la mer Rouge et de la tentative de mettre en place une "OTAN-arabe" contre l'Iran.

C'est dans ce contexte que la France a fait de l’Égypte un partenaire privilégié notamment en matière de défense. En 2016, Paris a vendu pour 5,2 milliards d'armements au Caire : avions Rafale, frégates multimissions, missiles, satellites de communication militaire. Certaines d'entre-elles ont été directement utilisées contre le peuple égyptien dans leurs révoltes contre cette immonde dictature. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ne tarit pas d'éloges sur cette relation privilégiée.

Le Parti communiste français exprime toute sa solidarité avec le peuple égyptien. Il exige la cessation immédiate des ventes d'armes et appuie les rapports de l'ONU qui condamnent l'écrasement des droits humains. La France et l'Union européenne doivent mettre un terme au soutien du régime du maréchal Al-Sissi et disposent de ressources pour faire fléchir ce pouvoir. Aucun retour à la stabilité régionale n'est possible sans la justice sociale et le respect des libertés.

Pascal Torre
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient