27 mai : journée nationale de la Résistance – La modernité du programme du CNR

Ce mois de mai 2020 marque le 75e anniversaire de la chute du nazisme. La fin de ce fléau unique dans l’histoire de l’humanité est d’abord due au courage de tous ces soldats des armées alliées : Royaume-Uni, États-Unis, Union soviétique… À celui de tous ces Français qui s’y sont engagés, mais aussi, nous ne saurions l’oublier, de tous ces hommes issus des colonies, notamment africaines, ces « hommes noirs tombés en Flandres Dans la neige de chez nous » que chantait Aragon en 1949, demandant aux esprits oublieux : « Qui pour parler à vos cendres Se met jamais à genoux » ? 

Aux côtés de ces armées régulières, la Résistance joua un rôle de premier plan : rôle militaire bien sûr, rôle politique aussi. Par les armes ou par les tracts, ces hommes et ces femmes, souvent jeunes, ont donné à voir une autre France que celle acclamée par Pétain et voulue par Hitler. Une France qui n’abdiquait pas l’ambition des Lumières et des révolutions.

On connait pourtant la chanson, doucereuse et hypocrite : tout cela est bel et bon mais appartient à l’ancien monde. Respect formel à ces combattants de l’ombre, mais ils n’ont rien à nous dire pour penser aujourd’hui et construire demain. Petit discours et fermez le ban !

Et pourtant, parce que la pandémie de Covid-19, dans toute sa brutalité, remet au cœur des discussions publiques les grandes questions, les grandes voix de la Résistance gagnent à être écoutées de nouveau. Quelle société voulons-nous être ? Celle où quelques « féodalités économiques » décident du sort commun ? Celle où un trader gagne mille fois plus qu’une infirmière ? Celle où le profit d’une poignée prime la santé de tous les autres ?

Bien sûr, hier comme aujourd’hui, certains chemins peuvent séduire quand s’aiguisent les difficultés ; mais la Résistance nous apprend qu’il s’agit d’impasses quand ils ont nom xénophobie, délation, nationalisme, abdication des libertés. L’extrême droite n’a jamais de solution viable. A contrario si on parcourt le programme du Conseil national de la Résistance avec les questions que nous nous posons aujourd’hui… Ne nous faut-il pas construire, pour relever les défis du présent, cette « véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », comme y appelait le programme de 1944 ? À l’heure des profits indécents et des risques insensés, ne faut-il pas « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général » ? Et, pourquoi ne pas le dire, alors qu’on a dépecé des décennies durant l’appareil productif national, ne faut-il pas le « retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » ?, « le droit au travail et le droit au repos », « un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire […] qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine » ? On pourrait citer encore longuement ce programme dont la modernité frappe tant dans notre monde qui chemine depuis bien des années sur une pente directement opposée.

Bien sûr, tout n’est pas dans ce programme, lui-même objet de compromis entre des forces différentes. (Après tout, c’est bien de Gaulle qui, en 1967, porte un des plus rudes coups à cette fille aînée de la Libération, la Sécurité sociale.) Même le projet qui servit de base aux discussions communes, proposé par le communiste Pierre Villon, était écrit dans cet esprit mêlant exigence de répondre aux questions objectivement posées par la situation du temps et recherche d’un accord large permettant une mise en œuvre effective. Mais justement, là réside peut-être une des plus stimulantes réussites de la Résistance : allier exigence, cohérence et rassemblement. Cela ne se décrète pas, s’inscrit dans des configurations nationales et internationales très particulières, mais cela n’interdit pas de réfléchir.µ

Guillaume Roubaud-Quashie, membre du CEN.