La journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, célébrée chaque année le 21 mars à l’initiative de l’ONU depuis le massacre de Sharpeville en 1960 en Afrique en Sud, reste d’une brûlante actualité. Mais cette actualité n’est pas seulement celle de la solidarité internationale due aux victimes de discriminations raciales dans le monde, elle est celle de l’Europe et de notre pays, la France.
L’installation au premier plan de la vie politique de partis ouvertement racistes et xénophobes, les coalitions nouvelles entre forces de droite et d’extrême-droite accédant ou aspirant au gouvernement dans plusieurs pays européens, les discriminations racistes structurelles dans le travail, le salaire ou l’accès au logement, la mise en concurrence des travailleurs selon leur origine pour favoriser le dumping social au détriment du principe « à travail égal, salaire égal », la banalisation des discours racistes, leur présence virulente sur les réseaux sociaux, la montée des violences, le traitement indigne des migrants… les signaux d’alerte sont malheureusement nombreux.
Si le combat antiraciste est constitutif de notre histoire communiste, force est de constater qu’il est urgent de le remettre au premier plan de nos combats en renouvelant l’analyse de ce que nous avons à combattre. Les visages hideux du racisme ont pris de nouvelles formes, visent de nouvelles cibles, mais la concurrence des racismes et de leurs victimes est un piège. Car les racismes d’hier et d’aujourd’hui ne s’évacuent pas les uns les autres. Ils s’additionnent. Tous doivent être combattus.
La lutte contre le racisme et l’antisémitisme a marqué un siècle des combats des communistes français. L’antisémitisme reste un pilier de cette lutte, une exigence à laquelle les communistes n’ont jamais failli, des années 30 à la Résistance, jusqu’à nos combats actuels contre le révisionnisme des extrêmes-droites européennes. L’inauguration de la place Henri Malberg à Paris le 23 mars, à deux pas de la place Henri Krasucki, en est un témoignage fort. Et ceux qui persistent, à l’instar de Netanyahou et de ses relais politiques en France, à qualifier d’antisémites nos prises de position contre la colonisation des territoires occupés par Israël en Cisjordanie, ou la décision de Trump sur Jérusalem en violation du droit international, rendent un très mauvais service à la cause antiraciste. Car unir d’un même mouvement contre l’antisémitisme, et pour la fin de la colonisation et la solution à deux Etats, assurant la paix et à la sécurité aux Israéliens comme aux Palestiniens, c’est le chemin le plus sûr pour faire reculer les racismes que ne peuvent qu’alimenter les logiques de guerre, d’humiliation et de spoliation.
Le chaos du monde actuel est propice à la montée de tous les racismes. La mondialisation capitaliste en crise porte en elle l’exploitation et la mise en concurrence sans fin des peuples et des dominés, comme la nuée porte l’orage. Et dans la guerre du tous contre tous, racismes et replis nationalistes et xénophobes trouvent un terreau fertile. Tour à tour, roms, musulmans, migrants… deviennent la cible. Peu importe la réalité supposée du danger mis en scène, l’essentiel est à chaque fois la construction d’un « ennemi » utile à diviser entre eux les opprimés et les perdants de la mondialisation capitaliste. Le racisme redevient à grande échelle et dans toute l’Europe un des instruments de la domination de classe. La stigmatisation systématique des musulmans, volontairement confondue avec l’islamisme, ou pire avec le terrorisme, comme les lois et les murs anti-migrants construisent quotidiennement ce discours. L’islamophobie est au cœur de ce dispositif idéologique car elle procède à tous les amalgames, confondant dans un même mouvement racisme anti-immigré et dénaturation de la laïcité, alors réduite à la défense des valeurs chrétiennes, à l’opposé du principe de liberté de conscience qu’elle est censée garantir. L’islamophobie doit être pour cela déconstruite et combattue.
Face à tous ceux qui veulent diviser ou séparer, construisons du commun
Mais plus encore que la lutte contre les stéréotypes racistes de tous ordres, c’est le combat contre le rapport social d’exploitation de masse, l’instrument de division de notre propre société, la France, qu’est aujourd’hui le racisme, qui doit être considérablement revalorisé dans notre action.
Inégalités sociales, précarisation et nouveaux modes d’exploitation du travail, assignations territoriales dans des quartiers délaissés par la République, discriminations racistes structurelles dans les politiques publiques (embauche, logement, contrôle au faciès) se conjuguent pour mettre à l’index, en état de sous-citoyenneté, une part croissante de la population et, singulièrement de la jeunesse. Nous avons sous-estimé le caractère de masse de ce racisme institutionnel, qui est une injure quotidienne au principe d’égalité dans la République. Comme nous avons les stigmates du colonialisme dans les imaginaires et les réalités d’aujourd’hui.
Ce combat, nous devons le porter haut et fort, en aidant à libérer la parole, à organiser l’action de toutes les victimes de ces discriminations, de tous ceux qui se vivent comme les « racisés » de la République, à écouter et entendre les souffrances que cela engendre. Face à tous ceux qui veulent diviser ou séparer, construisons du commun, une égalité réelle et un nouvel universalisme qui reconnaissent pleinement la pluralité et la diversité des individualités, des cultures, des identités de cette part du monde qu’est notre pays, la France.
Pierre Laurent
Le cahier du congrès - Hors série de Cause Commune Août 2018