Chili : La Constituante commence ses travaux en manifestant !

Hier, dimanche 4 juillet, pour la première fois une Constituante élue démocratiquement est chargée de rédiger une nouvelle constitution. Depuis l’indépendance en 1818, toutes les constitutions du Chili ont été imposées. Cette Constituante a deux particularités : elle est paritaire et est composée de 78 femmes et 77 hommes ; les peuples originaires sont représentés par 17 élus.

Tous les groupes d’opposition, très majoritaires dans cette assemblée, se sont réunis en différents lieux de Santiago et ont accompagnés leurs élus à la Constituante. Les élus indépendants de la Lista del Pueblo ont fait un serment digne du Jeu de Paume sur la Plaza Dignidad. Les représentants des peuples originaires se sont réunis sur une colline et y ont réalisé différentes cérémonies. Même les socialistes ont accompagné leurs élus à travers les rues de Santiago en chantant « El pueblo unido ». Pour écrire la nouvelle Constitution, l’écrivain Jorge Baradit, élu constituant, est arrivé avec les stylos de Salvador Allende. Les communistes se sont aussi rassemblés et ont marché jusqu’à l’ancien Parlement.

C’est dans cet édifice historique que Pinochet avait cru avoir fermé définitivement en 1973 que se réunira la Convention constituante. Pinochet avait fait construire pour les députés un nouveau bâtiment à Valparaiso, à une centaine de kilomètres de la capitale. Le siège historique du Parlement est situé dans la commune de Santiago dont la nouvelle maire est la jeune communiste Iraci Hassler.

La première session à peine ouverte a été suspendue : les Constituants protestaient contre la répression des manifestants qui avait lieu aux portes de l’édifice. Les manifestants réclamaient la liberté des prisonniers de la rébellion d’octobre 2019.

Quand la session reprendra, le premier travail des Constituants sera d'élire leur président. Plutôt leur présidente : tous les groupes ont acté que ce sera une femme qui présidera la Constituante. Et c’est Elisa Loncón qui a été élue avec 96 voix sur 155, suivie de très loin par Harry Jürgensen, 33 voix, le candidat des droites. Elle a 58 ans et est professeure d’anglais à l’Université. Bien entendu, en bon représentant de l’ancien monde, la droite avait choisi de présenter un homme qui est entré en politique contre Salvador Allende en 1973. Pour écrire une belle constitution, Elisa Loncón devra réunir toute l’opposition, aujourd’hui éparse. Le vice-président, élu avec 84 voix, est Jaime Bassa. C’est aussi un universitaire : il est professeur de droit. C’est un indépendant de gauche élu sur les listes d’Apruebo Dignidad, l’alliance du PC et du Frente Amplio.

Cette Convention constituante commence ses travaux alors que les élections du 16 mai ont donné le signal de départ de la campagne électorale pour les présidentielles de novembre.

Deux blocs ont décidé d’organiser des primaires officielles. Celles-ci sont gérées par le Servel, l’organisme étatique chargé des élections, et auront lieu le 18 juillet. Les résultats sont contraignants pour les partis qui s’y sont inscrits.

D’un côté, la droite, toute la droite, du centre-droit à l’extrême droite, concourt pour désigner un candidat unique. Leurs électeurs auront le choix entre quatre candidats. Leur objectif est d’être présent au second tour de la présidentielle.

De l’autre côté, à gauche, les partis intégrant le Frente Amplio et Chile Digno, la coalition dont l’élément moteur est le Parti communiste du Chili, se sont unis pour ces primaires. Deux candidats se présentent : Gabriel Boric pour le Frente Amplio et Daniel Jadue pour le Parti communiste du Chili. Les sondages donnent un avantage de 54 % à Daniel Jadue contre 46 à Gabriel Boric.

Au centre, le parti démocrate chrétien (DC, centre-droit) et le parti socialiste (PS, centre-gauche) ne se sont toujours pas accordés ni sur la démarche pour désigner un candidat commun, ni sur un programme commun. La DC présente la présidente du Sénat Yasna Provoste et le PS, Paula Narváez, ancienne ministre de Michelle Bachelet.

Parallèlement, la force d’attraction de la candidature de Daniel Jadue sème le trouble dans les rangs socialistes. Un Comité des socialistes pour Jadue s’est constitué et annonce avoir réuni plus de 500 noms à l’intérieur du PS. Ils sont menacés d’exclusion par leur direction. Gonzalo Martner, économiste, ancien président du PS, ancien ministre, a directement intégré la campagne de Daniel Jadue. Il joue un rôle important dans l’élaboration du programme économique de Daniel Jadue.

Depuis les élections de mai qui ont été un désastre pour la droite (elle n’a pas obtenu 30 % des voix), le choix de la droite est de mener une campagne de la peur et du chaos. « Le Chili ne sera pas ni le Venezuela ni Cuba ». La campagne est directement et férocement anticommuniste. Le dernier élément de cette campagne est de faire passer Daniel Jadue pour un antisémite. L’extrême droite a réussi à faire passer une motion à la Chambre des députés sommant Daniel Jadue de justifier qu’il n’est pas antisémite. C’est l’avocat du président Pinera qui a lancé l’action suivie immédiatement par le dépôt de la motion anti Jadue par les députés d’extrême droite. Belle coordination qui vient du sommet de l’État. Le plus triste dans cette histoire est que de nombreux députés de la DC ont rallié la droite à cette occasion ainsi que quelques transfuges du PS et du parti pour la démocratie (PPD, centre gauche).

Cette journée du 4 juillet 2021 restera une journée historique pour le Chili. Une journée où tout a été symbole :

  • Les Constituants élus qui arrivent dans l’enceinte du Parlement historique du Chili, fermé depuis 1973 par Pinochet, accompagnés du peuple en marche.
  • Les travaux qui sont retardés parce que les Constituants exigent le départ de la police : tout était calme jusqu’à l’arrivée des forces spéciales et les heurts ont commencé dès leur arrivée.
  • La présidente élue est une femme Mapuche. Quand elle a été élue, elle a remonté l’Assemblée avec le drapeau Mapuche, et les constituants scandaient « El pueblo unido jamas sera vencido » !
  • Le premier acte de la nouvelle présidente a été de demander une minute de silence pour tous les morts, ceux des peuples premiers victimes du colonialisme, ceux de la dictature militaire, ceux de l’explosion sociale.
  • Avant de se quitter, les Constituants ont annoncé que leur première motion sera pour demander la libération des prisonniers de l’explosion sociale.

Hier beaucoup de larmes ont coulé. L’émotion était forte, très forte. Le premier discours de la nouvelle Présidente a ému tout le Chili. Depuis deux ans, les Chiliens ne finissent pas de connaître journée historique après journée historique. L’ancien monde s’effondre, le nouveau est en train de naître.

Pierre Cappanera
membre du collectif Amérique latine du PCF