Conjoncture économique et sociale – Frédéric Boccara présentait au CEN du 3 mai dernier un rapport sur la situation économique et la dette.

Il rappelle que la pandémie « a été un révélateur et un catalyseur » de la crise économique. Il analyse assez longuement les débuts de la présidence Biden dont la « caractéristique la plus importante, je crois, est le message suivant. Ne pas « débrancher » les dépenses et aides avec la sortie du confinement, au contraire les amplifier, non seulement pour répondre à la pandémie, mais aussi pour sortir de la crise en s’engageant sur un nouveau chemin. »

L’actualité américaine montre qu’« il y a une énorme attente sur le social et l’égalité. Et quand on y répond, cela « avale » en quelque sorte le discours identitaire, populo-conservateur. Surtout quand on fait (ou en tout cas qu’on annonce) du social très large et massif, car il touche aussi bien les couches moyennes, que les plus précaires en proie au racisme. »

Dans ses commentaires, le rapporteur met l’accent sur différents enjeux : la remontée des « classes moyennes », le rôle de l’argent (provenance et utilisation), l’idée qu’il faut « plus d’État » (mais quel État ?), l’aspiration (dévoyée) à un monde coopératif ; il évoque aussi la bataille d’idées que suscite cette politique de Biden. « Sur Biden, le discours que nous pourrions mettre en avant, pourrait donc être : on voit bien qu’il faut mettre beaucoup de moyens financiers, et pas seulement pour soutenir l’activité, mais aussi pour s’engager sur un autre chemin. »

Frédéric Boccara évoque ensuite l’actualité européenne, la question de la croissance, puis il aborde le débat de conjoncture en France.

« En France, le débat cherche à s’imposer sur l’idée qu’il faudrait débrancher progressivement les aides, d’une part, d’autre part sur le cantonnement de la dette avec le maintien d’une cible de stabilité des dépenses publiques et sociales et enfin une conception bancale des plans annoncés. »

La question de la dette

Le rapport rappelle les mesures prises par le gouvernement, la situation « faussement calme » sur le front de l’emploi, le creusement des inégalités. « Concernant la dette, c’est un débat mis en avant pour masquer l’austérité anti-emploi déjà à l’œuvre dans les dépenses publiques présentes et pour affoler sur l’austérité à venir, préparer les esprits. Se jeter sur la dette pour mettre en priorité en avant son annulation n’est donc pas la bonne position. Il en faudra plus, utilisée autrement, ce qui n’empêche pas une restructuration de la dette passée (surtout celle précédant la Covid, sur laquelle l’État verse presque 40 Md€ d’intérêts par an). La réponse à la situation c’est : des avances monétaires avant que les recherches, les formations, les investissements n’aient donné de la production suffisante pour avaler cette dette. Cela veut donc dire plus de dette. C’est pourquoi brandir l’annulation généralisée, comme notamment JL Mélenchon, outre de ne pas affronter la question de l’austérité anti-emploi et formation actuelle (malgré l’augmentation de la dette) pose deux autres problèmes : cela dénigre l’idée même d’endettement et cela rend difficile de trouver des financeurs ultérieurs pour continuer à s’endetter, à faire même « rouler » la dette. Il faudrait plus de dette, pendant un certain temps, autrement (pas par les marchés financiers) et utilisée différemment.

Ce qui oblige à rentrer dans le dur du dur des questions de classe. Cela veut dire aussi récuser les positions « négationnistes » qui prétendent que la dette ne compterait pas. Elle compte. Mais pas parce qu’elle est « élevée ». Parce qu’elle est financée par les marchés financiers, que la BCE vient gonfler en leur promettant de la leur racheter, et parce que cette dette n’est pas utilisée où il faut, pour les bonnes dépenses. Elle prépare une croissance insuffisante pour supporter la dette, et une croissance empoisonnée socialement et écologiquement.

D’où notre proposition : un Fonds pour l’emploi, la formation et la transformation productive, financé par la création monétaire, en France, des banques publiques, via la BCE, et au niveau européen aussi. Dans un premier temps, le Fonds national pourrait très bien être abondé par la Caisse des dépôts, la BPI, la Banque postale (sans même attendre des nationalisations bancaires pourtant nécessaires), ces dernières se tourneraient auprès de la BCE pour être refinancées à 0 %, voire à taux négatif. Le Fonds serait géré démocratiquement, avec une possibilité de saisine par le terrain et les acteurs sociaux, à l’appui de projets consistants. Les titres de dette ne circuleraient pas sur les marchés financiers. Le taux d’intérêt serait très abaissé, y compris négatif (= subvention) ; il serait d’autant plus abaissé que seraient développés des emplois, de la VA, et économisées les émissions de CO2. C’est dire s’il fonctionnerait avec des critères transparents, mais pas de façon technocratique. Ces Fonds posent la question de leur articulation aux « plans » élaborés par les États européens. »

Frédéric Boccara montre ensuite que « les nuages s’amoncèlent » sur le plan financier (envolée des Bourses, sorties de capitaux).

Dans ses conclusions, il estime que « à court terme, la sortie du confinement peut donc signifier à nouveau un rebond transitoire, mais surtout une seconde lame très forte de récession et de difficultés. Nous ne serons pas dans « la reconstruction », ni dans le « qui doit payer la crise ? », mais dans un nouveau temps de crise, à laquelle il faut faire face pour en sortir ! D’où l’importance de nos batailles pour des conférences régionales et nationales sur production, emploi et utilisation de l’argent, et - surtout - de la bataille contre l’austérité pour une mise massive de fonds, avec des critères précis (emploi, valeur ajoutée, économie de CO2) au lieu de critères sectoriels (tel secteur doit être appuyé, etc.). »

(Lire le rapport intégral)