Contre la guerre économique, des coopérations nouvelles

La violence de la secousse économique qui s’étend sous nos yeux agit comme un révélateur de grandes questions posées au pays. Parmi celles-ci : la question industrielle. Quelques chiffres : Entre 1980 et 2018, la part de marché mondiale de la France dans les biens est tombée de 6,3 % à 3 %... Derrière les Pays-Bas.

44 % du PIB de la zone euro sont consacrés aux importations contre 18 % en 1986 (alors que la Chine ou les États-Unis sont restés sous les 20 %). En 1990 la France produisait plus de la moitié de ses médicaments contre 11 % aujourd’hui. Chez Renault, 3,6 millions de véhicules étaient assemblés en France en 2004 pour 2,2 millions en 2019. Voilà pour le constat. Il est le fruit de choix politiques néolibéraux persistants et de mutations au sein même du capital lui-même avec une valeur actionnariale prenant le dessus sur la valeur ajoutée. La recherche insoutenable des taux de profits à deux chiffres pèse de tout son poids sur le développement humain, social, économique et précipite la planète dans une crise écologique sans précédent.

Et le Covid-19 fait apparaître aux yeux du plus grand nombre de grandes faiblesses systémiques : La difficulté d’approvisionnement en masques quand Plaintel en construisait il y a peu dans les Côtes-d’Armor. Les Luxfer dans le Puy-de-Dôme qui produisaient de l’oxygène médical et dont le gouvernement dit désormais timidement chercher un « repreneur européen ». SANOFI dont les États-Unis affirment vouloir la primauté des efforts de recherches sur le Covid avec l’essentiel des laboratoires de recherches installés sur leur territoire national alors que le chiffre d’affaires de l’entreprise se fait à 80 % sur les remboursement de la Sécurité sociale française…

Les exemples ne manquent pas, tous autant scandaleux, tous autant inquiétants. Ils provoquent des débats en France et en Europe sur de possibles relocalisations de productions dans une économie toujours aussi interconnectée et confrontée à une défaillance d’ampleur, qu’il s’agisse de la production ou de la fourniture de matières premières.

Les communistes proposent un nouveau système de développement articulant industrie et services (notamment les services publics) et de nouveaux pouvoirs à l’entreprise. Il s’agit d’allier relocalisations et coopérations en utilisant comme levier l’intervention politique, syndicale, citoyenne pour garantir et conditionner l’accès à l’argent, qu’il s’agisse de création monétaire, de crédit ou d’aides publiques.

Si Bruno Le maire concerte actuellement en réunissant les grandes filières industrielles nationales, nous craignons l’annonce de restructurations d’ampleur, avec suppressions d’emplois, dans l’automobile, l’aéronautique… Au profit d’une prétendue sauvegarde de l’appareil productif national et européen ainsi que d’une réorientation écologique qui n’en aura que le nom. D’ailleurs, pendant que le commissaire chargé de l’Économie, Paolo Gentiloni, annonce des discussions sur « la possibilité d’intervention d’un outil paneuropéen, également en capital », la BCE achète les titres de 38 entreprises des énergies fossiles. Et l’Union européenne reste profondément inégalitaire comme en témoigne le fait que parmi toutes les aides d’État validées par Bruxelles depuis le début de la crise, 52 % émanent d’Allemagne. Chiffre éloquent qui indique combien de nombreux pays appauvris par des années d’austérité n’ont plus les moyens de faire face dans les conditions actuelles.

Cela indique l’urgence à construire des coopérations économiques et industrielles nouvelles, réduisant les risques de dépendance dont nous voyons aujourd’hui les effets. D’autant que la tentation nationaliste menace d’ouvrir de nouveaux fronts de guerre économiques. Pour exemple, le Japon vient de débloquer 2,2 milliards en direction de ses entreprises qui quitteraient la Chine pour revenir au bercail, et l’Inde ne ménage pas ses efforts depuis avril pour attirer sur son territoire des entreprises installées en Chine.

En France, le pouvoir Macron met en œuvre une politique visant à constituer de grands champions du capital financier (voir son accompagnement des projets Alstom/Siemens ou Fincantieri/Chantier naval de Saint-Nazaire) au détriment du projet industriel, seul juge de paix d’une viabilité économique, sociale, écologique. Un État stratège peut intervenir sur les grandes filières industrielles nationales pour répondre aux enjeux de notre siècle : en conditionnant et en contrôlant tout l’argent public utilisé ; en nationalisant lorsque nécessaire pour faire reculer la domination du capital et non pour collectiviser les difficultés avant de restituer les bénéfices au marché ; en agissant au niveau européen pour une politique monétaire et du crédit garantissant un nouvel essor industriel engageant la transition écologique. La mobilisation de ces leviers, appuyés par de nouveaux pouvoirs à l’entreprise et sur les territoires, permettront d’engager les relocalisations et coopérations nécessaires.

Aymeric Seassau, membre du CEN.