De la « startup nation » à la « failed nation (1) »

ors de son avènement à la Présidence de la République, Emmanuel Macron avait exprimé sa volonté de faire de la France une « startup nation ». On allait voir ce qu’on allait voir, la France, grâce aux startupeurs premiers de cordée, allait devenir un leader mondial des nouvelles technologies en général des « bio tech (2) », des « fin tech (3) », des « legal tech (4) », des « civic tech (5) », de l’intelligence artificielle et du numérique en particulier.

Loin de la magie supposée la « Silicon Valley », rappelons ce qu’est une « startup », c’est-à-dire en français moderne : une entreprise qui démarre. Une « startup » est une entreprise qui n’a pas encore de modèle économique et qui trouve des financements basés sur une spéculation sur la réussite commerciale d’innovations technologiques dont elle est censée être porteuse. Une « startup » se doit de lever un maximum de fonds financiers en faisant exploser son volume d’affaires, en particulier en maintenant des coûts bas pour assurer le plus haut niveau de rentabilité possible. Pour cela, sous la férule d’un « CEO (6) » érigé en gourou au pouvoir dictatorial, on exploite des armées de stagiaires, d’auto-entrepreneurs et de salariés fortement sous-payés au regard des heures effectuées. En France l’objectif réel des fondateurs de startups est d’empocher un maximum d’aides publiques tout en pratiquant l’« optimisation fiscale » (sic) afin de payer un minimum d’impôt, et en cas de réussite de se faire racheter sa technologie au prix fort par un grand groupe. Il ne s’agit en rien de bâtir une entreprise durable et encore moins de contribuer à lutter contre le chômage ou de participer au bien commun d’une nation.

Le concept de « startup nation » est simple : favoriser la naissance d’une multitude de startups par aides publiques et incitations fiscales, faire que quelque-unes deviennent des licornes (7), et que parmi ces licornes naissent avec un peu de chance des géants mondiaux des nouvelles technologies. Or ce schéma relève du conte de fées. Dans la vraie vie cela ne se passe pas comme ça, en particulier aux États-Unis : une startup comme Telsa-Space X n’aurait pu voir le jour et se développer sans le financement massif du Pentagone, de la NASA et l’exploitation de la « recherche & développement » des plus riches laboratoires universitaires des États-Unis. Aux États-Unis les premières startups sont nées dans les années 1920 dans le sillage du développement technologique de la télégraphie sans fil. Il s’agissait et s’agit toujours, dans le contexte juridique, démographique, géographique et économique particulier des États-Unis, de contourner la bureaucratie et la technocratie étouffantes des grandes entreprises et de l’État fédéral afin de financer des projets technologiques hétérodoxes. Le pari étant que sur des dizaines de milliers de projets qui échouent faute de trouver une utilité ou un modèle commercial, quelques-uns réussissent.

Les États-Unis ne sont pas une startup nation, mais leurs startups participent de leur domination mondiale dans le domaine des technologies nouvelles. Cet éco système des startups ne pourrait exister sans la richesse et la puissance des laboratoires des universités de ce pays, sans l’intervention et le soutien de l’État via ses agences comme la NASA ou la DARPA (8), montrant ainsi que pour les États-Unis le libéralisme n’est qu’un produit d’exportation. En s’appuyant sur son richissime complexe militaro-industriel et sur une base industrielle qui reste solide, seule la puissance du capitalisme américain peut se payer le luxe du système des startups qui est hyper spéculatif, très coûteux en ressources financières, générateur d’énormes gâchis humains, mais qui permet de produire les GAFAM, Tesla, SpaceXX, Intel, Cisco, Moderna, et bien d’autres groupes en situation d’oligopole… Or le contexte du capitalisme français est tout autre, le pays a été fortement désindustrialisé, les universités sont très loin d’avoir les moyens de leurs homologues étatsuniennes, il n’existe pas d’équivalent à la DARPA, ce qui rend le système des startups inadapté et inadaptable à la réalité française. Imiter servilement les États-Unis ne peut que conduire à l’échec.

L’incapacité à se donner tous les moyens de développer un vaccin, la désorganisation à l'échelle nationale du tracer, tester, isoler puis de la campagne de vaccination contre la Covid-19 ont fini de démontrer que la «startup nation » avec sa « French tech » n’était qu’un village Potemkine.

La France a multiplié ces dernières années la création de startups de biotech, mais cet éco système n'a pas permis d'arriver à la conception d'un vaccin contre la Covid-19. Certes les raisons de cet échec sont multi factoriels mais le tout startups à sa part. De même, les startups du numérique ont été incapables de concevoir une plateforme globale pour organiser la vaccination. Seul doctolib a proposé une application très frustre de prise de rendez-vous en ligne à partir de son application générale. Or dès l’été, au moment où la plupart des vaccins entraient en phase 3, l’anticipation d’une organisation efficace de la campagne appelait la production d’une plateforme numérique nationale globale pour gérer la logistique, mais aussi les rendez-vous des personnes à vacciner, leur accueil, leur suivi, les ressources humaines et matérielles à mobiliser sur les lieux de vaccination, l’organisation de l’accès à ces lieux, la constitution d’équipes mobiles de vaccination… Dans un pays correctement administré, cette plateforme aurait pu naître d’une mobilisation et d’une coopération coordonnée par l’État entre services publics de santé, services de l’État, pompiers, l’armée avec son service de santé, ses moyens logistiques et la Délégation générale à l’armement, les collectivités territoriales, l’université, le CNRS, le CEA, la Sécurité sociale, les centres et écoles de formation d’informaticiens, la communauté du logiciel libre, les entreprises de la filière informatique, la CNIL et l’ANSSI (9) pour la protection des données. Ce grand projet commun et collectif à toute la nation aurait pu prendre la forme d’un hackathon géant. Pour cela, il aurait fallu avoir un gouvernement qui fasse confiance aux capacités d’initiatives et de créativité de son peuple en entier et non en une poignée de « premiers de cordée ». Or ce gouvernement se défie de son peuple, il en a peur.

Notre pays n’a pas besoin de devenir une « startup nation » pour le seul profit parasitaire de quelques grands groupes capitalistes, il doit simplement faire nation avec et pour tout son peuple. C’est ce à quoi œuvre le Parti communiste français avec ses parlementaires et ses élu·e·s territoriaux.

Yann Le Pollotec

secteur numérique

 

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1. État failli en français, ce terme a été inventé par l’organisme « fund for peace », agent d’influence du « soft power » étatsunien.

2. Biotechnologie.

3. Technologies financières comme les robots de trading, la blokchaine...

4. Technologie pour développer, proposer ou fournir des produits ou des services relatifs au droit et à la justice.

5. Technologies pour organiser le fonctionnement des institutions.

6. Chief Executive Officer, en français moderne un directeur général ou un PDG.

7. Startup valorisée à plus d’un milliard de dollars.

8. Defense advanced research projects agency, homologue de la Délégation pour l’armement (DGA) en France, sauf que la DARPA est dotée de moyens considérables avec l’objectif pour les États-Unis de contourner massivement les règles de l’OMC en matière de technologie.

9. Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.