Dulcie September, la femme à abattre

Cinq coups de feu au matin du 29 mars 1988 à Paris ont mis fin à la mission de Dulcie September, représentante de l’ANC, le mouvement de libération de Nelson Mandela. L’émotion fut à la hauteur de l’ignominie du crime, des milliers de Parisiens se rassemblèrent devant le cimetière du Père Lachaise pour dire adieu à celle qui leur avait tant appris sur le système d’apartheid, ce crime contre l’humanité.

Une juge d’instruction fut chargée de l’enquête, mais celle-ci fut close dès le mois de juillet 1992 par un non-lieu. Une enquête qui avait suivi la piste la plus simple : des mercenaires français payés par le régime d’apartheid. Christian Rouget avait un alibi et Jean-Paul Guerrier n’a jamais été entendu, ces deux noms cités par Eugène de Kock dans le rapport de la commission Vérité et Réconciliation. Cette dernière demandait un complément d’enquête car elle n’avait pas pu statuer sur l’Affaire Dulcie September, faute d’éléments significatifs.

La sœur de Dulcie, Stephanie, anéantie par la mort de sa sœur et effrayée par le climat de violence qui régnait alors en Afrique du Sud, ne fit pas appel de la décision de la justice française. Mais en 2019, ses enfants et son beau-frère, rongés par le silence qui entourait ce crime, décidèrent de saisir la justice française et de porter plainte pour déni de justice et pour crime d’apartheid, crime imprescriptible. Plainte rejetée par le procureur de Paris en 2019, puis à nouveau en 2020.

La famille, soutenue par un collectif d’ami·e·s français et sud-africain, n’a pas baissé les bras, et a saisi le tribunal judiciaire de Paris en engageant la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service de la justice et déni de justice continu depuis 34 ans. L’audience publique, la première depuis la mort de Dulcie, devant le Tribunal a eu lieu le 16 novembre 2022 et le jugement a été rendu le 14 décembre 2022.

La famille a été déboutée au motif qu’elle n’avait pas utilisé tous les moyens de recours et que la qualification de crime d’apartheid ne pouvait pas être retenue. Autrement dit, la justice française considère que le meurtre de Dulcie September est un crime de droit commun. Elle écarte d’un revers de manche et sous un jargon juridique le fait qu’il s’agit là d’un crime politique et que Dulcie September est la seule responsable de l’ANC assassinée en dehors de l’Afrique du Sud et du continent africain.

Il est de notoriété publique que la France a violé toutes les sanctions des Nations unies concernant les ventes d’armes et la collaboration nucléaire avec l’Afrique du Sud. De quoi la justice française a-t-elle peur ? De révélations compromettantes pour des responsables politiques en France et en Afrique du Sud ?

Quoi qu’il en soit l’affaire n’est pas close. La famille va faire appel et en novembre 2022, une unité spéciale de la police sud-africaine, les Hawks, a commencé son enquête sur la mort de la militante anti-apartheid. Cette mission répond enfin aux recommandations de la commission Vérité et Réconciliation.

Jacqueline Berens