Haïti: Une crise économique et politique passée sous silence

Le 12 janvier, Haïti rendait hommage aux plus de 200 000 victimes du séisme qui a ravagé le pays il y a dix ans. Rappelons-nous, une secousse de 35 secondes de magnitude 7 avait transformé plusieurs villes, dont la capitale Port-au-Prince, en champ de ruines. Ce sont plus d’un million et demi d’Haïtiens qui se sont retrouvés sans logis. Des centaines de milliers de logements, de bâtiments administratifs, d’écoles et 60% du système de santé ont été détruits. Les autorités et la communauté humanitaire internationale se sont alors retrouvés devant un défi colossal de reconstruction dans un pays sans cadastre ni règle de construction.

La mobilisation à ce moment-là a été importante. Comment peut-on alors expliquer que dix ans après, cette commémoration se fasse avec autant d’amertume et un constat accablant d’une décennie «perdue» et de milliards de dollars intraçables. Certains observateurs disent même qu’Haïti est devenu la «république des ONG» et la refondation du pays n’a pas eu lieu. La cheffe de mission de Médecins sans frontières explique que ces derniers jours vient enfin de rouvrir un hôpital de traumatologie et les blessures soignées actuellement sont à 50 % des blessures par balle.

Ce constat montre malheureusement l’aggravation de la crise sociale, économique et politique de ce pays qui ne peut pas s’expliquer simplement par les drames du tremblement de terre, de l’épidémie de choléra de 2010 ou des effets de l’ouragan Matthew en 2016.

Haïti est le 168e pays sur 189 dans le développement humain; plus de 78% de la population vivent avec moins de 2$ par jour, la moitié de la population survit avec moins de 1$ par jour; 3,5 millions d’habitants souffrent d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. La moitié du budget et 80% des investissements viennent de l’extérieur, Haïti importe 60% de ses besoins alimentaires en dépit d’un fort potentiel agricole.

Ce pays est tellement dépendant des aides extérieures qu’un rapport de l’OCDE de 2018 vante les mérites économiques des migrations haïtiennes.

En effet, la diaspora haïtienne, toutes destinations confondues, serait aujourd’hui proche de 2,5 millions de personnes. Elle serait plus d’un million aux États-Unis, près de 140 000 au Canada, près de 60 000 en France, près de 500 000 en République Dominicaine, près de 120 000 au Chili, près de 40 000 au Brésil. Et la liste continue en diminuant vers les autres pays de la Caraïbe et du reste du monde.

Aujourd’hui, la diaspora est sans conteste le secteur économique le plus important du pays. Elle injecte environ 2,3 milliards de dollars par an dans l’économie du pays, ce qui représente près du quart de son PIB. Cette contribution est probablement le principal «filet social» du pays. Une souffrance sociale aggravée par une crise politique qui perdure et dont la communauté internationale semble se désintéresser.

«Le peuple se met en mouvement, dénonce la corruption et revendique pour vivre dignement»

Le pays se trouve dans une terrible impasse politique avec des parlementaires qui n’ont plus de mandat depuis le 13 janvier dernier et n’arrivent pas à s’entendre sur une loi-cadre pour envisager de nouvelles élections. Absence de parlementaires qui satisfait le président Jovenel Moïse qui peut enfin gouverner par décret et pousse le cynisme jusqu’à dire que ne plus avoir de parlementaires fait faire des économies au pays. Il est bon de souligner que ce président avait été largement félicité par la France et les États-Unis entre autres. La diplomatie française avait même félicité Jovenel Moïse de sa victoire «au terme d’un processus électoral démocratique» en janvier 2017. Surprenant que personne ne soulève à ce moment-là le fait que ce président est élu avec seulement 20% de participation!

Depuis près d’un an, le peuple se met en mouvement pour demander un changement de système politique, un changement de système judiciaire, dénonce la corruption et revendique pour vivre dignement. Les mobilisations ont été particulièrement fortes fin 2019 et elles ont été aussi terriblement réprimées avec des images hallucinantes qui vont jusqu’à une vidéo filmant un sénateur sortant son arme et tirant directement sur la foule qui proteste.

Ces protestations ont été justifiées avant tout par la pénurie d’essence, mais elles sont bien plus profondes et plus organisées que les journaux occidentaux voudraient le dire.

Depuis septembre 2018, la jeunesse de ce pays s’organise sur les réseaux sociaux (#petrocaribechallenge) pour dénoncer la corruption et demander le départ de Jovenel Moïse qui est lui-même mis en accusation dans le scandale de PetroCaribe.

Ce scandale a une nouvelle fois démontré la gabegie d’argent qui n’a servi qu’à «la bourgeoisie» haïtienne et échappé une nouvelle fois au développement du pays et à l’amélioration de la vie quotidienne. En 2008, le président Chavez du Venezuela décide d’aider Haïti en créant un fonds «Produit Pétrolier contre développement», et un audit a démontré dix ans plus tard que 3 milliards de dollars avaient disparu et n’auraient pas servi au développement du pays.

Alors pourquoi ce silence de la communauté internationale? Est-ce que la diplomatie française refuse le développement de ce pays? La France prétend être fière de sa présence dans les Caraïbes, alors pourquoi ne dénonce-t-elle pas la corruption avérée et pourquoi continue-t-elle à en faire un pays dépendant essentiellement des finances extérieures sans veiller à l’utilisation?

Le peuple haïtien en a décidé autrement et l’affirme dans les rues de plusieurs villes. Sa demande est claire, il demande le départ du Président Moïse qui ne peut en aucun cas représenter un nouveau départ pour le pays. Dans ce pays aussi le peuple veut démontrer que ce système de gestion au profit de quelques-uns n’est plus possible. La violence de la police, des milices n’arrête pas une jeunesse qui veut redéfinir le système judiciaire, redéfinir le système social, le système économique, le système politique.

Cécile DUMAS
responsable-adjointe du secteur international du PCF
article publié dans CommunisteS du 29 janvier 2020