Intervention de Stéphane Peu à l'Assemblée Nationale le 28 avril, sur la crise du Covid-19

 

 

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ASSEMBLÉE NATIONALE
Débat du 28 avril 2020
INTERVENTION DE STÉPHANE PEU


Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Cher·es collègues,
Après nous avoir conviés à débattre cet après-midi d’une application qui n’existe pas, voilà que vous nous convoquez à un débat bâclé sur un plan de déconfinement que les parlementaires n’ont pas eu le loisir de découvrir ou d’amender.
En réalité, dans de telles conditions, ce que vous nous demandez n’est pas même un avis, mais simplement la confiance.
Or, cette confiance vous est, moins que jamais, acquise. Car si l’ampleur comme la soudaineté de cette crise sanitaire nous a longtemps conduit à refréner nos critiques, elle ne suffit pas à expliquer l’impréparation totale de votre gouvernement, ses changements de pieds et le bricolage dont il témoigne en toute occasion.
Impréparation, car le risque d’une pandémie hautement pathogène et à forte létalité, était connu depuis longtemps. Faute d’avoir écouté les alertes multiples, comme celle du conseil mondial du suivi de la préparation, qui en septembre dernier exhortait les nations à « mettre en place les systèmes et la collaboration nécessaires pour détecter et combattre les flambées épidémiques potentielles. » Le rapport concluait : « Les responsables de tous niveaux ont les cartes en mains. »
Que faisiez-vous au temps où ces recommandations étaient publiées ?
Que faisiez-vous lorsque les urgences et les chefs de services hospitaliers du pays vous imploraient depuis des mois de débloquer les moyens qui faisaient défaut ?
Rien, car vous étiez trop occupé à « moderniser » notre système de santé, ce qui dans votre langue est synonyme de saboter.
Car ce que nous avons sous les yeux, n’est pas le seul fruit d’une impréparation, mais aussi celui d’un froid projet que d’autres ont certes engagé avant vous, mais que vous avez opiniâtrement poursuivi : 5 milliards d’euros de moins pour la santé dans le PLFSS 2020, dont 1 milliard au détriment de l’hôpital public. En vingt ans, 100.000 lits ont été supprimés, dont 17.500 depuis 6 ans !
Au nom du dogme de la libre entreprise et de l’idée d’une France sans usine, vous avez accepté le déménagement de notre industrie aux quatre coins du monde, et poursuivit consciencieusement l’affaiblissement de notre capacité à produire « à porté de malades et de soignants » ce qui est indispensable aux soins : les antidouleurs, les antibiotiques, les matériels de réanimation, les protections, etc.
Et après avoir saboté, maintenant vous pataugez.
Oui, vous cafouillez en multipliant les déclarations et décisions contradictoires, assenées avec assurance et immédiatement démenties par les faits, ou par l’un des vôtres :
« Pas de risque de propagation depuis Wuhan » expliquait fin janvier la ministre de la santé tout en alertant, parait-il, le Premier Ministre de la gravité de la pandémie.
« Pas besoin de dépister systématiquement », une doctrine défendue contre l’avis de l’OMS et les résultats obtenus dans d’autres pays.
Au moment même où vous invitiez à « Restez chez vous », votre ministre du Travail exhortait à la reprise du travail dans le bâtiment.
Cafouillage aussi sur les masques car vous n’avez pas reconstitué les importants stocks stratégiques. Faute de masque, vous avez déployé une irresponsable argumentation sur leur inutilité pour les bien portants. Votre doctrine est simple : ce qui fait défaut n’est pas indispensable.
Et la semaine dernière nous avons appris, médusés que sur les 10.000 respirateurs commandés, 8.500 ne sont pas adaptés aux malades Covid-19…
Quelle débâcle ! L’édifice de vos méthodes managériales, bâti sur le sable de votre imaginaire libéral, tout s’est effondré.

 

Et pourtant, nous sommes convaincus que l’ensemble des français, que toutes les forces vives du pays, notamment ses forces politiques dont la nôtre, sont prêtes à se retrousser les manches. J’en ai le démonstration dans mon département de Seine-Saint-Denis où la méthode qui prévaut est celle de ces efforts conjoints.
Mais au-lieu de faire ce choix de l’unité, vous restez crispés sur votre dogme libéral qui vous aveugle et vous pousse vers des méthodes autoritaires.
Résultat, vous nous invitez à débattre, sur un coin de table, d’un plan de déconfinement et d’une application qui semble promise au même destin, puisque sur ce sujet aussi, vous avez également changé d’avis, et puisque sur ce sujet aussi, nous continuons de parler dans le vague.
Monsieur le Premier Ministre, lorsqu’un immeuble est en flamme et qu’on ne dispose ni de lances à incendie, ni d’échelles, ni même de soldats du feu en nombre suffisant, on ne se demande pas s’il faut lancer une application mobile pour prévenir les pompiers.
D’autant qu’un tel dispositif technologique de traçage percute dangereusement nos valeurs républicaines et menace incontestablement nos libertés, sinon notre souveraineté. Le pseudonymat n’est pas l’anonymat, et aussi sécurisée sera-t-elle, une base de données de personnes réputées infectées attirera les convoitises de cybercriminels qui ne manqueront pas de trouver le moyen de capter les données des mobiles, ce que déjà Google et Apple peuvent faire sans notre consentement.
En outre, il n’a aucun sens s’il ne vient pas compléter une réponse globale solide, celle que nous aurions aimé contribuer à élaborer à partir des nombreuses propositions que nous avons construites ces dernières semaines avec mes collègues communistes, en lien avec notre réseau d’élus locaux, avec les associations et les organisations syndicales.

 

Il est temps de sortir du flou des discours du Président de la république qui ne donne pas une ligne claire des principes qui sauraient rassembler le pays face au virus. En lâchant « au jugé » un déconfinement pour le 11 mai, sans qu’à l’évidence on ne se soit préoccupé en amont de savoir si c’était possible et surtout à quelles conditions, le Président n’est pas le dernier, malgré les habits martiaux ou les accents du CNR recherchés dans ses prises de paroles, a avoir contribué à semer le trouble.
Trouble car pour nombre de familles qui aspirent à la reprise de l’école pour leurs enfants, le choix de cette date du 11 mai est apparue comme répondant à un objectif essentiellement de remise au travail des salariés, et non comme la date à laquelle, toutes précaution étant prise, il est possible de reprendre l’école dans des conditions sanitaires adaptées.
Un trouble qui s’est renforcé lorsque le ministre a indiqué que cette reprise était laissée au libre choix des parents. Beaucoup de salariés ne l’auront pas, ce qui ne peut conduire une fois de plus, à renforcer l’idée d’un deux poids, deux mesures, à culpabiliser les parents et à creuser un peu plus des inégalités scolaires que cette crise a aiguisées.
Malgré toute la bonne volonté et l’investissement des enseignants, cette reprise du 11 mai ne sera pas une rentrée. Il faudra dès septembre, engager un plan de rattrapage massif dans trois directions : la médecine scolaire, l’objectif de « plus de maîtres que de classes » et la revalorisation du traitement des enseignants.
Il faut aussi sortir du flou sur les points les plus essentiels d’un plan de déconfinement :
• affirmer le droit au masque gratuit pour toute la population et garanti par l’État, est la condition pour le rendre obligatoire, par exemple dans les transports en commun.
• rendre dès qu’ils seront disponibles et sous la responsabilité de l’État, les tests sérologiques mensuellement obligatoires pour toute la population.
• mettre en isolement des personnes testés positifs au Covid 19
• ou encore soumettre toute reprise d’activité d’une entreprise à l’expertise et à l’approbation du comité économique et social d’entreprise.

 

Alors seulement, nous seront disponibles pour écouter les variations du Président de la République autour de « la France d’après », déclarations qui ont été immédiatement contredites par ses premières décisions, les vôtres, à commencer par le projet de loi de finance rectificative ou la loi d’urgence sanitaire.
Ainsi, le pays applaudit chaque soir ses soignantes et ses soignants, ses ambulanciers, ses pompiers.
Construire la France d’après, c’eut été octroyer enfin et durablement, dès votre projet de loi de finance rectificative, les moyens dont l’hôpital public a besoin pour que son bon fonctionnement ne repose plus sur le seul dévouement exceptionnel de ses personnels.
Vous découvrez tout soudain la France des invisibles, ces travailleuses et ces travailleurs qui en nous ravitaillant, en nous transportant, en collectant nos déchets, font tenir le pays debout.
Construire la France d’après, ce serait déjà contraindre les entreprises qui rechignent à verser la prime promise aux salariés de la seconde ligne. Et ce serait surtout, en augmentant le SMIC et par une conférence sur l’augmentation des salaires, reconnaître enfin la contribution économique et sociale réelle de ces salariés de l’ombre, reconnaissance que le marché du travail se trouve incapable de traduire par une juste rémunération.
Le Président se dit prêt à remettre en cause ses propres certitudes mais rien ne témoigne de cette prise de conscience dans ses actes.
Construire la France d’après, ce n’est pas délivrer à nouveau des chèques aux grandes entreprises, sans contrepartie, comme vous venez de le faire pour Air France. Ce serait de conditionner les aides à une réorientation de l’économie évaluée sur sa performance sociale et environnementale, et ne pas écarter le principe des nationalisations permettant le retour d’une maîtrise publique au service de la transition écologique.
Construire la France d’après, ce n’est pas octroyer toujours plus de pouvoirs discrétionnaires au patronat, pour déroger à la durée de temps de travail ou au repos dominical, ce serait au contraire redonner du pouvoir aux salariés, par exemple celui que vous leur avez ôtez de peser sur leurs conditions sanitaires de travail, en supprimant les CHSCT.
Construire la France d’après, ce serait suivre la proposition des parlementaires communistes que vous avez rejeté de refuser les aides et prêts aux sociétés qui ont des actifs dans les paradis fiscaux. Ce serait aussi de rétablir l’ISF, un symbole fort de l’effort de solidarité attendu par le pays.

 

Monsieur le Premier Ministre, lorsque notre Nation est confrontée à une crise aussi grave, on ne confine pas ainsi le débat parlementaire et la démocratie.
Face à cette terrible épreuve, nous étions depuis le début disponible pour travailler, dans la solidarité nationale, à construire une issue à cette crise. Mais plutôt que de construire le commun combat, vous avez choisi de briser l’unité.