Izmir : 21e Rencontre internationale des Partis communistes et ouvriers

Intervention du Parti communiste français prononcée par Lydia Samarbakhsh, membre du Comité exécutif national, responsable du secteur international du PCF, lors de la 21e Rencontre internationale des Partis communistes et ouvriers organisée à Izmir du 18 au 20 octobre 2019.

Cher·e·s camarades,

Compte tenu de la gravité des événements, et de la responsabilité des différents gouvernements français dans cette situation, vous comprendrez que je ne peux pas, au moment de prendre la parole devant vous aujourd’hui, ne pas penser à celles et ceux qui, non loin de nous, subissent le fracas des bombes et des tirs d’artillerie,

à celles et ceux que le risque de mort a jeté, nus, sur les routes,

à celles et ceux qui tombent entre des mains inhumaines et se voient mourir dans la douleur, couverts d’insultes et d’humiliation, les corps martyrisés sous les coups meurtriers d’êtres perclus de haine.

Je ne peux pas, au moment de prendre la parole devant vous aujourd’hui, et comme vous tous ici, ne pas penser à elle, à lui et à eux qui, entre les murs de leurs prisons, nourrissent avec ardeur l’espérance de jours meilleurs, à eux qui soignent avec des mots emplis d’humanité les blessures que les injustices et l’ordre dominant infligent aux peuples, aux femmes et aux hommes d’ici et du monde.

Je ne peux pas, cher·e·s camarades, prendre la parole devant vous aujourd’hui sans penser à celles et ceux, qui, particulièrement dans ce pays, avec courage, s’unissent et descendent dans les rues, sans arme, sans violence et avec toute la dignité de leur ardent désir de liberté, de démocratie et de justice pour affronter l’obscurantisme, la dictature, le pouvoir de l’argent.

Né du brasier du mouvement ouvrier de mon pays, de l’espérance d’octobre 1917 et du refus de l’immense boucherie de la Première Guerre mondiale, le Parti communiste français n’entend renoncer à aucun de ces combats essentiels pour libérer le genre humain de l’exploitation et de domination capitaliste: le combat pour la paix, le combat pour l’émancipation humaine et sociale qui, pour nous, inclut indissociablement les dimensions écologiques et féministes, et la solidarité internationale des travailleurs et des peuples.

En juillet 1922, Anatole France écrivait dans le journal l’Humanité des mots que nous faisons entièrement nôtres près de cent ans plus tard:

«On croit mourir pour la patrie; on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l’heure, possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes: des usines, des banques, des journaux.»

«La guerre mondiale fut essentiellement l’œuvre des hommes d’argent, (...) ce sont les hauts industriels des différents États de l’Europe qui, tout d’abord, la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent. Ils en firent leur état, mirent en jeu leur fortune, en tirèrent d’immenses bénéfices et s’y livrèrent avec tant d’ardeur qu’ils ruinèrent l’Europe, se ruinèrent eux-mêmes et disloquèrent le monde.»

En ces jours, où les peuples du monde demeurent

«aux prises avec ces forces de l’argent sans d’autre foi ni loi que celles du profit, de la domination et de l’exploitation, le Proche et le Moyen-Orient, aux ressources pétrolières immenses, est dévasté depuis la fin de l’Empire ottoman par des guerres sans fin qui s’enchaînent et s’enchevêtrent les unes aux autres et qu’alimentent avec ardeur les ambitions impérialistes des puissances occidentales et de puissances régionales qui leur sont alliées [tout autant que celles de leurs rivales]. Des fortunes colossales se sont construites sur des charniers sans fond et les humiliations de peuples entiers.

Nous n’avons pas oublié que l’accession au pouvoir d’Hitler, Franco et Mussolini sur fond de ruine et de misère, de haine et de xénophobie, fut aussi rendue possible par le soutien actif des grands magnats de l’industrie et des fabricants d’armements.

Ceux qui aujourd’hui possèdent «usines, banques et journaux» n’ont pas changé d’optique; ils préférèrent un Bolsonaro au retour de la gauche de transformation sociale au Brésil, ils préfèrent un maréchal Sissi en Egypte plutôt qu’un régime démocratique, ils préfèrent une guerre saoudienne au Yémen et une crise humanitaire historique ou un Netanyahu en Israël plutôt qu’un État palestinien libre et indépendant, ils préfèrent un Trump aux États-Unis plutôt qu’un Sanders qui parle de partage des richesses et de sécurité sociale, ils préfèrent un Mohammed VI plutôt que le respect des résolutions de l’ONU pour le peuple sahraoui et la justice sociale pour le Rif, ils préfèrent un Salvini en Italie et un Orban en Hongrie1.»

Et en Syrie, ils préfèrent sacrifier le projet démocratique que les habitant·e·s du [Rojava au] nord-est ont bâti, ils préfèrent voir mourir ces femmes et ces hommes, ces enfants, les chasser de leur propre pays qui subit déjà une des pires guerres qui soit depuis plus de huit ans et qui a provoqué atrocités, destructions et morts sans nombre, et des millions de déplacés.

La montée en puissance des forces d’extrême droite et des ultra-nationalismes tente de ramener l’humanité au bord d’un précipice qu’elle a déjà longé: il s’agit de jeter par la haine les peuples les uns contre les autres.

Aucune de nos forces ne peut, dans ces conditions, concéder un pouce de terrain idéologique ni aux faiseurs de guerres ni aux nationalistes. C’est ce que je suis venue dire ici, avec les mots de Jean Jaurès:

«c’est précisément parce qu’elles se valent, qu’aucune [patrie] n’a le droit d’asservir les autres.

[La patrie] n’est pas le but; elle n’est pas la fin suprême. Elle est un moyen de liberté et de justice.

Le but, c’est l’affranchissement de tous les individus humains. Le but, c’est l’individu.

Lorsque des échauffés ou des charlatans crient: “La patrie au-dessus de tout”, nous sommes d’accord avec eux s’ils veulent dire qu’elle doit être au-dessus de toutes nos convenances particulières, de toutes nos paresses, de tous nos égoïsmes.

Mais s’ils veulent dire qu’elle est au-dessus du droit humain, de la personne humaine, nous disons: Non. Non, elle n’est pas au-dessus de la discussion. Elle n’est pas au-dessus de la conscience.

Elle n’est pas au-dessus de l’homme. Le jour où elle se tournerait contre les droits de l’homme, contre la liberté et la dignité de l’être humain, elle perdrait ses titres. [...] La patrie n’est et ne reste légitime que dans la mesure où elle garantit le droit individuel.

Le jour où un seul individu humain trouverait, hors de l’idée de patrie, des garanties supérieures pour son droit, pour sa liberté, pour son développement, ce jour-là l’idée de patrie serait morte.» (Socialisme et liberté, 1898)

Nous ne sommes pas là pour nous payer de mots.

Nous disons avec notre camarade Samir Amin disparu en 2018 que l’heure est à un nouvel internationalisme des peuples et des travailleurs, l’heure à un rassemblement de toutes nos forces mais sans aucun compromis avec l’idéologie dominante ni l’ultranationalisme.

Le consensus est nécessaire entre nous car aucune de nos forces ne peut s’autoriser à juger les choix politiques et stratégiques d’autrui pour mener à bien le combat de classe. Mais si nous pouvons diverger les uns des autres sur la manière de travailler au rassemblement politique de gauche dans notre pays ou à l’échelle régionale, il ne saurait y avoir d’ambiguïté sur l’essence de notre engagement pour l’émancipation humaine, les droits fondamentaux individuels, les droits des peuples et des travailleurs.

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En France, le mouvement des Gilets jaunes «a révélé dans le tumulte», pour reprendre les mots de Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité et ancien vice-président du groupe GUE-NGL au Parlement européen, «les fractures qui traversent la société française, rendant visible et palpable l’antagonisme entre ceux qui tentent de vivre de leur travail et ceux qui en dévorent les fruits2».

Il précise: «[Ce mouvement3] est l’une des expressions autant de la crise systémique du capital que de l’atonie démocratique de nombreux pays, dont la percée de l’extrême droite est l’une des conséquences les plus significatives et inquiétantes.»

Enfin, la mobilisation des Gilets jaunes, dans notre pays, «a constitué un moment de politisation qui peut trouver d’importants prolongements s’il parvient à s’abstraire du face à face que cherche à lui imposer le pouvoir politique [dirigé par Emmanuel Macron], pour s’attaquer au cœur de l’exploitation sociale, aux forces du capital et de l’argent, au grand patronat qui est resté tapi dans l’ombre depuis le début du mouvement».

Pour les communistes français que je représente devant vous, «la concentration du capital d’un côté, et les impératifs d’émancipation sociale, humaine et écologique appellent à un bond en avant social, démocratique et écologique s’inscrivant dans le dépassement du système capitaliste4» ainsi que Karl Marx le soulignait lui-même dans le Livre III du Capital5:

«Du point de vue d’une organisation économique supérieure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur son prochain. Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n’en sont que les possesseurs, elles n’en ont que la jouissance et doivent la léguer aux générations futures après l’avoir améliorée en boni patres familias.»

C’est dans cette perspective de l’émergence d’une société, d’un monde et d’une planète libérés de l’exploitation de l’homme par l’homme, que le PCF résume le sens des combats dans lesquels il est pleinement engagé «Pour l’humain et la planète d’abord» plutôt que le capital et l’argent.

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Cher·e·s camarades, je veux pour conclure remercier les partis organisateurs de notre Rencontre internationale et vous transmettre à toutes et tous le salut fraternel de Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, et de l’ensemble des membres du Parti.

Fabien m’a chargée de vous transmettre un message à la suite de la réunion du Groupe de travail d’hier pour vous informer que notre direction nationale attachée au renforcement des liens entre nos partis, et avec toutes les forces politiques, sociales et mouvements engagés dans les luttes pour la libération humaine et sociale, la démocratie, la paix, l’égalité, la solidarité et la justice, se donne d’une à deux années pour préparer et présenter à nouveau sa candidature à l’accueil et l’organisation d’une prochaine édition de ces Rencontres internationales en 2023 ou 2024.

Par ces mots, soyez assurés de la solidarité du PCF dans nos combats communs.

 


1. Pierre Laurent, Discours du Centenaire de l’Armistice de 1918, Montataire, 7 novembre 2018.
2. Patrick Le Hyaric, Gilets jaunes : un sursaut populaire, Éditions l’Humanité, Paris, 2019.
3. Composé pour l’essentiel de travailleurs non-salariés: travailleurs «indépendants», artisans, petits entrepreneurs, commerçants, mais aussi travailleurs précaires parmi lesquels majoritairement des femmes.
4. Patrick Le Hyaric, p. 52.
5. Karl Marx, Le Capital, Livre III, Tome 3.