La bataille sanitaire est aussi une bataille de la production et de la formation : quelques enseignements de la réponse allemande au coronavirus

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L’Allemagne fait partie des derniers pays d’Europe à avoir annoncé des mesures de confinement (elles l’ont été le 20 mars 2020), mais, dans le même temps, affiche un taux de mortalité des personnes infectées par le coronavirus extrêmement faible (0,2 % contre 2 % en France et 7,7 % en Italie). Ce faible taux de mortalité ne saurait s’expliquer par un début plus tardif de l’épidémie, et le pays affiche déjà un nombre de personnes infectées extrêmement élevé (18 129 personnes le 20 mars, contre 10 508 en France), soit une personne dépistée comme étant infectée pour 4 000 habitants (6 000 en France et 9 000 dans le Hubei en Chine).

Une partie de l’écart est certes liée au fait que l’Allemagne dépiste de manière plus systématique les cas qu’en France, mais cela ne suffit pas comme explication à la faible létalité du virus. Qu’est-ce qui dans le système de santé allemand permet d’expliquer cette performance ? Et quelles en sont les limites ? Alors que le gouvernement invoque d’ordinaire le « modèle allemand » à tout va pour justifier toutes les précarisations, pourquoi la comparaison n’est-elle faite qu’avec l’Italie ?

Un système de santé dimensionné pour les crises

Relativement à sa population, l’Allemagne affiche le plus grand nombre de lits d’hôpital en Europe (8 pour 1 000 habitants contre 3 en France et Italie), dont 28 000 en réanimation (7 000 en France, 5 000 en Italie). En réanimation, le taux d’occupation moyen des lits oscille entre 70 % et 80 %.

Il reste cependant à déterminer si le caractère tardif des mesures de confinement n’entraînera pas une telle augmentation du nombre de personnes infectées à l’issue de la période d’incubation que le système de santé dépassera le point de saturation. Les mesures de confinement radicale ont été sans cesse repoussées pour protéger les entreprises déjà fortement touchées par la crise économique dont le déclenchement a précédé l’actuelle crise sanitaire.

Une mobilisation matérielle d’ampleur

Outre les réserves dont disposaient le pays en termes d’accueil des patients, le gouvernement fédéral et les gouvernements fédérés ont en outre mis en œuvre un plan rapide pour accroître les capacités d’accueil du pays. Ainsi, dans le Land de Berlin, le gouvernement régional SPD-Die Linke a annoncé la construction d’un hôpital de 1 000 lits qui devrait être terminé dans les deux semaines, par la transformation du centre des congrès de la ville, réquisitionné à cette fin.

L’effort d’accroissement matériel concerne aussi les respirateurs artificiels. Le gouvernement fédéral peut compter en ce domaine sur un tissu industriel dense avec deux des leaders mondiaux dans le domaine, Drägerwerk et Löwenstein. Le premier s’est engagé à produire 10 000 nouveaux respirateurs intensifs dans l’année, augmentant ainsi de plus d’un tiers les capacités de la République fédérale. Cela implique pour l’entreprise de doubler ses capacités productives, après avoir déjà doublé ses volumes depuis janvier 2020. Quant au second, celui-ci s’est de même engagé à doubler ses volumes et à livrer 6 500 respirateurs dans l’années.

L’augmentation du capital-machine nécessaire à de tels volumes ne devrait pas être un défi insurmontable au vu des sommes débloquées par les gouvernements : 800 milliards d’euros pour la sauvegarde des entreprises touchées par la crise, pouvant aller jusqu’à la nationalisation partielle ou totale, comme celle actuellement en cours de la Lufthansa, mais aussi le développement des chaînes des industries stratégiques fortement sollicitées.

Le défi de la main-d’œuvre et de sa formation

C’est cependant au niveau de la main-d’œuvre formée disponible que le bât risque de blesser.

Pour l’heure, Drägerwerk, Löwenstein mais aussi Moldex, qui permet à l’Allemagne de ne pas être en rupture complète de masques FFP2 et FFP3, ont réussi à augmenter les volumes à main-d’œuvre constante en jouant sur la flexibilité interne que permet le droit allemand. L’extension des heures travaillées atteint cependant rapidement ses limites.

La situation n’est guère plus reluisante dans les hôpitaux et la question se pose : comment les nouvelles infrastructures seront-elles pourvues ? Ironie de l’histoire, quelques semaines avant le début de la crise, les hôpitaux du Land de Berlin avaient annoncé manquer de main-d’œuvre et estimaient nécessaire de former 10 000 soignants d’ici 2030. Face à cette pénurie, les autorités du Land ont dû mobiliser les étudiants en médecine, mais aussi des soignants à la retraite, avec le problème, lié à la grande précarité des faibles pensions, qu’une partie d’entre eux cumule retraites et travail dans d’autres secteurs que les hôpitaux. Or, pour l’heure, la production dans les secteurs non-stratégiques n’est pas arrêtée ce qui ne permet pas de libérer cette main-d’œuvre.

Quelques enseignements à tirer de la crise actuelle et de sa gestion outre-Rhin : coupler politique industrielle et politique de formation

L’analyse très succincte des forces et faiblesses de la réponse allemande rappelle que la santé ne se déconnecte pas de la production et de la gestion :

  1. En cas de crise sanitaire, il importe de disposer de capacités excédentaires, que ce soit en termes de capital-machines, de personnel ou de lits dans les hôpitaux, à rebours de rentabilisation maximal du capital investi qui doit tourner au maximum mais aussi du délire gestionnaire des logiques de flux tendus et de zéro-lit inoccupé.
  2. En amont de telles crises, il importe de mener une politique industrielle et des services qui sécurise l’approvisionnement dans les biens, ce qui implique d’être capables de les produire à l’échelle nationale et européenne et non en un seul lieu, a fortiori hors d’Europe.
  3. Dans les deux cas, les moyens matériels nécessitent du personnel pour les manier et cela implique une planification à long-terme des besoins d’emploi, construite nationalement à partir d’un processus démocratique de définition des objectifs à atteindre et des moyens de les réaliser, associant tous les acteurs économiques et sociaux depuis les bassins d’emplois jusqu’aux différentes régions.

C’est pour cela que le PCF a mis au centre de son projet de transformation sociale radicale la construction d’un système de sécurité de l’emploi et de la formation qui mobilise les moyens de libérer graduellement les individus de la précarité fondamentale du salariat capitaliste. Chacune et à chacun alternera exercice d’un emploi et périodes de formation rémunérées et reconnues en termes de qualifications acquises, sans jamais passer par la case « chômage » ni connaitre de baisse de revenus. Un nouveau service public de l’emploi et de la formation prendra en charge les missions aujourd’hui exercées par l’Unedic, Pôle emploi, l’AFPA et tous les acteurs de la formation continue.

La crise actuelle met à l’ordre du jour immédiat le début de cette construction, pour assurer à tous les salariés dont l’activité doit s’arrêter pour raisons sanitaires le maintien de leur emploi et de l’intégralité de leur revenu (voir sur ce blog la note d’Anne Lafaurie).

Oui, il y a besoin d’une nouvelle forme de planification démocratique pour assurer les besoins sociaux !

Les comités d’entreprise (les actuels conseils sociaux et économique), à même de connaître les nécessités de la production, les besoins d’investissement et de formation seront dotés de nouveaux droits d’alerte qui leur permettront de saisir des comités de mobilisation et de sécurisation régionaux placés sous l’égide des conseils régionaux et des Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, en lien avec le CESE. Ces institutions préfigurent les conférences régionales et nationales pour l’emploi et la formation qui joueront un rôle essentiel dans la régulation du futur système (voir sur ce blog la note de Tibor Sarcey).

Ces nouvelles institutions représentent une forme radicalement nouvelle de planification démocratique et décentralisée, ouverte aux coopérations nationales, européennes et internationales. Cette nouvelle planification tire sa cohérence de la mise en œuvre de nouveaux critères de gestion et de financement des entreprises, entrant en conflit avec le taux de profit, jusqu’à devenir prédominants.

Il ne s’agit pas de revenir à la planification gaulliste qui mettait les moyens de l’État au service du capital industriel, mais de mobiliser et développer, contre la domination du capital, les forces productives et les moyens financiers nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux et écologiques définis au sein de ces nouvelles institutions de planification démocratique.

Pour que cette garantie soit réaliste, il convient cependant de la lier à une planification démocratique. L’actuelle crise sanitaire vient rappeler ce principe de vérité à deux folies opposées. Celle, sympathique, de la liberté de laisser les individus exercer les activités qu’ils désirent grâce à un « salaire à vie » ou un « revenu universel » qui les affranchirait de toute contrainte, y compris celle de participer aux efforts sociaux indispensables. Et celle qui a présidé à des décennies de casse de l’outil industriel et du système de santé français : laisser la rentabilité du capital déterminer les choix d’investissement matériel, humain et sanitaire !

C’est sur ces deux jambes qu’il convient de mener le combat : à la fois contre le règne de la rentabilité du capital et pour la mise en place d’un nouveau type de croissance de la productivité, fondé sur le développement des capacités humaines, qui appelle une politique industrielle et une politique de formation spécifique, à la fois émancipatrice et adaptée aux besoins sociaux, les plus vitaux bien sûr, mais aussi pour l’ensemble des besoins définis comme socialement utiles.