La longue liste de nos lâchetés internationales, qui façonnent une politique…

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En quelques jours, passés et à venir, on a un aperçu de la gravité des choix de la France officielle sur la scène internationale. Ils traduisent une politique assumée, qui avance masquée tant elle se tient loin du regard des citoyens français. Elle n’hésite pas à additionner renoncements, lâchetés, et cynisme, le tout au nom de la préservation de soi-disant intérêts de la France. Mais si des intérêts privés trouvent leur compte à court terme, cette politique menée « au nom du peuple français » conduit à un monde de plus en plus instable, dangereux, inégalitaire, où le chaos du libéralisme et des replis nationalistes produisent les pires effets.

A cet instant, on ne peut s’empêcher de penser au discours de passation de pouvoir de Jean-Yves Le Drian en mai dernier. Après une décennie de responsabilités ministérielles, celui-ci a fait le constat « d’un monde en voie de brutalisation ». Et il aura cette phrase stupéfiante venant de sa part : « Je pense que je ne laisse pas le monde en bon état ». Si le constat est juste, on est tenté d’ajouter : « Mais qu’a-t-il fait pour l’éviter ? ». Pire, alors qu’elle s’en défend, la politique de la France ne participe-t-elle pas à cette « brutalisation » du monde » ?

En ce moment, se discute devant le Parlement une résolution portant sur l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. Ce revirement de deux pays neutres jusque-là, est le résultat de la désastreuse invasion de l’Ukraine par la Russie. L’OTAN, jadis en mort cérébrale pour reprendre une formule célèbre, est maintenant relancée. Plutôt que de protéger ces pays, leur adhésion les transforme en potentielle ligne de front immédiate avec la Russie. Ce que le sénateur Pierre Laurent a dénoncé avec force : « Nous prétendons les protéger, quand en réalité nous les exposons au danger ». Le Président Macron met ainsi une croix définitive sur une quelconque autonomie stratégique européenne. L’Europe s’aligne entièrement sur les objectifs des États-Unis dans sa guerre à la Russie, et sur l’extension de la fonction de l’OTAN, tournée à terme vers l’Asie et l’Afrique. Et en échange du vote en faveur de leur adhésion, l’autocrate turque a obtenu de ces pays nordiques que les kurdes, auparavant protégés, soient désormais considérés comme terroristes, le tout avec l’aval de la France… Le Président français a salué auprès d’Erdogan le « consensus » trouvé avec Helsinki et Stockholm. La honte…

Autre sujet, les sénateurs français ont eu cette semaine à se prononcer sur un projet de loi autorisant un accord entre la France et le Qatar relatif au statut de leurs forces armées. Tout un programme ! Dans cet accord, figurent des clauses visant notamment à sécuriser juridiquement les ressortissants français sur place face notamment à la peine de mort ou à des traitements inhumains et dégradants, mesures toujours appliquées par la justice féodale qatarie. On accepte les exactions pour des qataries et les centaines de milliers de travailleurs étrangers réduits en semi-esclavage (dont plusieurs milliers sont d’ailleurs morts sur les chantiers de la prochaine Coupe du Monde de football). Mais au moins protège-t-on les Français de ces pratiques inhumaines. Ce deal cynique montre à quel point la France officielle renonce à faire bouger les lignes, dès lors que des intérêts sont en jeu. Pensez-donc, le Qatar était le troisième client de la France pour la période 2016-2020, avec 18 % des commandes d'armes françaises, et des contrats pour l'acquisition de 36 Rafale. Les relations militaires ou économiques ne sont d’ailleurs pas l’apanage du seul Qatar. La France entretient des relations toxiques avec les autres pétro-dictatures du Golfe. Ces pays, qui vivent de rentes pétrolières sans avenir, et méprisent les droits humains, peuvent-ils être réellement des alliés stratégiques stables et durables pour la France ? D’autant qu’ils usent tous de relations troubles dans les zones de guerre et avec les forces djihadistes. Inutile de dire que les sénateurs communistes se sont opposés à ce projet de loi.

Dernier exemple, le Président Macron va se rendre le 26 juillet au Cameroun en visite d’État. Curieux choix. Elle va se dérouler à la veille des quarante ans de pouvoir du dictateur Paul Biya. Quarante ans de souffrances, de gâchis, de corruption, de prédations, de pillages au profit de multinationales étrangères. On sait par expérience que plus une dictature se maintient contre son peuple, plus la transition est difficile. Que va faire M. Macron pour éviter que se poursuive ou s’aggrave la « brutalisation du Cameroun » ? Va-t-il simplement s’assurer de la défense des intérêts et de l’influence française dans la succession qui s’engage ? Et pourquoi ne dirait-il rien sur les responsabilités de l’État français dans les crimes innommables commis au Cameroun indépendant, y compris par l’usage d’armes chimiques contre des civils ?

Il ne suffit plus de « donner l’impression » d’agir, d’effacer quelques irritants politiques pour mieux préserver et renforcer l’essentiel de nos politiques de domination. Il devient temps de changer de politique, pour la défense des intérêts de nos peuples, pour notre indépendance, et parce que la France peut et doit agir pour demain, un « monde en bon état ».

Dominique Josse
responsable du collectif Afrique