La réforme constitutionnelle russe ou comment gagner de l’espace et du temps

Le 22 avril prochain, les Russes seront consultés sur les changements apportés dans la Constitution actuelle qui, rappelons-le, est issue du coup d’État d’Eltsine contre le Parlement en octobre 1993. Deux principales directions se dégagent.

Une série de nouveaux articles lui donne une coloration ultra-conservatrice. On y exalte la patrie, prise dans un sens impérial, dans le nouvel article 67 par exemple qui stipule: «La Fédération de Russie, unie par une histoire millénaire, conservant la mémoire des ancêtres qui nous ont transmis des idéaux et la foi en Dieu, ainsi que la continuité du développement de l’État russe, reconnaît l’unité de l’État existant historiquement». On y exalte la famille: «Les enfants sont un des biens principaux de l’État (ibid.)» ou encore: «La défense de la famille, de la maternité, de la paternité et de l’enfance; la défense du mariage comme union entre un homme et une femme; la création de conditions pour élever les enfants dans la famille» (article 72). Le travail n’est pas oublié dans l’article 75 avec l’inscription dans la Constitution du salaire minimum et de retraites «sur la base de la solidarité entre générations», ce qui n’a pas empêché Poutine de repousser l’âge de départ de cinq ans en septembre 2018, en dépit d’une très importante mobilisation sociale. La primauté de la Constitution sur le droit international est affirmée. Les pouvoirs du président sont renforcés, en particulier sur l’activité du gouvernement, du parlement et des pouvoirs locaux.

D’autre part, le sort que se réserve Vladimir Poutine après la fin de son mandat, en 2024, fait couler beaucoup d’encre. Il se réserve en réalité un maximum de marges de manœuvre. La limitation des mandats présidentiels à deux ne prendra pas en compte les mandats antérieurs à la réforme constitutionnelle, ce qui laisse théoriquement au président actuel la possibilité de rester au pouvoir jusqu’en 2036. Par ailleurs, une institution jusqu’alors faible, le conseil l’État, gagne en pouvoir et en visibilité, pour devenir une instance clé de régulation entre les pouvoirs locaux et le pouvoir central.

« Essayer de sortir de la contradiction fondamentale dans laquelle se trouve le Kremlin »

Il s’agit surtout de gagner du temps et de l’espace, pour essayer de sortir de la contradiction fondamentale dans laquelle se trouve le Kremlin: d’une part, Poutine demeure relativement populaire, mais l’est de moins de moins, et surtout l’est par défaut; d’autre part, le système politique, lui, est très impopulaire; or, il s’agit de sauver le système du pourrissement. Pour l’instant, le pouvoir n’a pas trouvé la martingale gagnante. Il avait retrouvé un nouveau souffle en démantelant Youkos en 2005/2006 puis en annexant la Crimée en 2014. Sera-t-il capable de trouver un troisième souffle alors qu’il demeure hautement dépendant des déséquilibres du capitalisme russe, lui-même très lié aux hydrocarbures, qui fournissent le tiers du PIB russe et dont les prix ont chuté de 30% en une semaine?

Dans ce contexte, les défis pour la gauche sont énormes. Le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) s’est abstenu sur la réforme constitutionnelle, en votant néanmoins contre la remise à zéro du décompte des mandats présidentiels. Le défi majeur est, pour les communistes et pour les autres organisations politiques et sociales, de construire une alternative politique qui paraisse crédible à une majorité du peuple russe. Le mouvement social et les connections politiques qui ont commencé à émerger à l’occasion de la campagne présidentielle et du mouvement sur les retraites en 2018 peuvent être des étapes allant dans cette direction.

Vincent BOULET
responsable Europe du PCF