Le lancement par SpaceX de deux astronautes, symbole de la privatisation et de la militarisation de l’espace

Le lancement, samedi 30 mai, de deux astronautes par la société privée SpaceX filiale spatiale du groupe (1) d’Elon Musk, redonnant ainsi aux États-Unis la capacité d’envoyer eux-mêmes des humains dans l’espace, marque une nouvelle étape dans la privatisation et la militarisation de l’espace.

En ce début de XXIe siècle le capitalisme étatsunien s’est trouvé une nouvelle « destinée manifeste » (2) avec l’espace. Ce choix stratégique avait été initié par l’administration d’Obama avec le Space Act autorisant les entreprises privées des États-Unis à s’emparer des ressources de l’espace, en violation des traités internationaux.

De la maîtrise du devenir de notre planète aux crises climatiques, de l’Internet des objets à la téléchirurgie, de la géolocalisation à la locomotion autonome, de l’agriculture raisonnée à l’industrie 4.0, de la biologie en microgravité à la compréhension de notre galaxie, l’avenir des progrès scientifiques, technologiques, économiques, écologiques et sociaux s’écrivent dans l’espace. Or, on est entrés dans un nouvel âge spatial, où l’accès à l’espace n’est plus un monopole étatique, où des acteurs privés comme Blue Origin (Amazon) et SpaceX pratiquent un low cost spatial largement financé par les commandes du Pentagone et de la Nasa, où des constellations de centaines de minisatellites et de nanosatellites en orbite basse vont se multiplier.

L’espace est devenu un enjeu stratégique majeur pour l’avenir des sociétés humaines. En effet, l’actuelle globalisation de la production et des échanges ne peut fonctionner sans les satellites de géolocalisation et de télécommunication. Des programmes européens, comme le Copernicus de surveillance de l’état de la terre, sont déterminants pour l’avenir de l’humanité et la maîtrise de son environnement écologique. De même, l’existence de Galileo comme alternative au monopole du GPS américain est décisive pour garantir l’indépendance économique et l’autonomie stratégique de l’Europe et de la France.

Jusqu’à une période récente, l’usage militaire de l’espace se limitait à trois fonctions : le recueil de renseignements (images, écoutes…), la transmission sécurisée de données par des satellites de télécommunication et la géolocalisation, et les aides à la navigation pour guider les armées et effectuer des frappes dites de précision sur l’adversaire (le GPS américain, le Glonass russe, le Beidou-2 chinois et, depuis peu, le Galileo européen). L’usage militaire de l’espace ne jouait pas un rôle offensif direct, en dépit de diverses expérimentations d’armes antisatellites et des plans fantasmagoriques de la guerre des étoiles de Reagan.

L’espace était régi par le Traité international de 1967, complété par la Convention de 1972 sur les responsabilités pour les dommages causés par des objets spatiaux. Ce traité interdit explicitement la mise en orbite d’armes nucléaires ou de destruction massive. Il prohibe l’utilisation de la Lune et tout autre corps céleste à des fins guerrières, en proscrivant explicitement leur usage pour tester des armes quel qu’en soit le type, conduire des manœuvres militaires, établir des bases militaires, des installations ou des fortifications. De plus, le traité fait aussi défense de s’arroger des ressources extraterrestres en établissant une propriété privée. Mais, depuis une dizaine d’années, deux camps s’opposent autour de ce traité. D’un côté, les États-Unis, les puissances européennes et le Japon qui prônent la militarisation et son ouverture à son exploitation via des concessions et un régime de propriété privée. Et de l’autre, soixante-dix-sept nations emmenées par la Russie et la Chine qui proposent de renforcer le Traité de 1967 par un nouveau traité, le PPWT (3), qui bannirait toutes les armes de l’espace, quelle que soit leur nature, et qui prohiberait le recours à la force et à la menace d’y recourir contre des objets spatiaux, y compris avec des armes susceptibles de viser un satellite – missile ou système incapacitant, comme les lasers – depuis la Terre.

Il y a une continuité politique d’Obama à Trump sur les enjeux spatiaux. Obama, en 2015, par le Space Act violant le Traité de 1967, a autorisé les entreprises des États-Unis à s’emparer des ressources de l’espace. Trump, avec la création de son armée de l’espace, a officialisé la stratégie de militarisation de l’espace par les États-Unis, liée à son exploitation par les firmes capitalistes globalisées de son pays. Historiquement, c’est en grande partie à partir des retombées des avancées technologiques développées avec le programme Apollo que les entreprises étatsuniennes ont construit leur domination sur la révolution numérique.

Malheureusement, tel un mauvais imitateur, Macron, avec bien sûr des moyens et des objectifs plus modestes, a emboîté le pas aux États-Unis en créant une branche spatiale des armées le 14 juillet 2019.

La France est la quatrième puissance spatiale, elle est le moteur de l’Europe dans ce domaine. Mais force est de constater qu’alors que les États-Unis dépensent annuellement 40 milliards pour le spatial, l’Europe n’en investit que 7 milliards et laisse supprimer un quart des effectifs d’Arianegroup, et cela avant même la crise du Covid-19. Les États-Unis réservent aux entreprises américaines comme SpaceX tous ses lancements institutionnels, alors que l’Europe met en concurrence Arianespace. C’est pourquoi, face à l’enjeu stratégique de l’espace, la France et l’Europe devraient constituer un pôle public spatial européen sous la responsabilité de l’ESA et établir le monopole par Arianespace des lancements institutionnels des pays membres de l’Union européenne. Dans le même mouvement, elle devrait renforcer sa coopération avec la Chine, la Russie et tout autre pays, pour aboutir à la signature du PPWT et à la sanctuarisation de l’espace comme un bien commun de l’humanité tout entière.

 

Yann Le Pollotec, commission Défense nationale-Paix.

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1. Tesla (voiture électrique et véhicule autonome), Powerwall (batterie), OpenAI (intelligence artificielle), Hyperloop (train subsonique en tube), Neuralink (neurologie et intelligence artificielle), The boring Company (réseau de transport urbain à haute vitesse), Elon Musk a aussi fondé le moyen paiement en ligne Paypal et la banque en ligne X.com

2. La « destinée manifeste » est une doctrine idéologique né en 1845 qui veut que les États-Unis aura pour mission divine son expansion vers l’Ouest. Une fois la conquête de l’Ouest achevée, cette doctrine a servi de fondement idéologique à l’impérialisme des États-Unis et à leur volonté d’imposer partout dans le monde « l’american way of life »

3. Traité sur la prévention du placement d’armes dans l’espace ou de l’usage de la force contre des objets dans l’espace ou Treaty on the Prevention of the Placement of Weapons in Outer Space, the Threat or Use of Force against Outer Space Objects