Le lycée professionnel au cœur des enjeux d’égalité – Carnets Rouges n° 23, octobre 2021.

Carnets Rouges, en lui consacrant ce dernier numéro, s’est donné pour objectifs de montrer comment la transformation de la voie professionnelle s’oppose à l'objectif affiché d’une réelle revalorisation, porteuse d’une transformation sociale, alors que des propositions existent pour que cessent les logiques ségrégatives.

La loi Pour la liberté de choisir son avenir professionnel, vise à transférer l'enseignement professionnel public vers les organisations patronales, avec en particulier la signature d’une convention avec le MEDEF, afin de développer l’esprit d’entreprise, les compétences requises selon les besoins des entreprises et du marché, la soumission de l’apprentissage aux branches professionnelles. La création d’écoles d’entreprise en est l’instrument, d’où sont exclues les questions liées aux droits des salariés, aux enjeux environnementaux, au développement de l’esprit critique, à l’acquisition d’une culture commune. Il s’agit bien de former des travailleurs dominés par les intérêts et l’idéologie de l’entreprise, plutôt que des sujets acteurs de leur histoire et de l’histoire collective, des citoyens critiques. Cette exclusion progressive des lycées professionnels du champ du service public d'éducation remet en cause la mission de scolarisation de tous les jeunes qui incombe à l’État.

La filière professionnelle est devenue l’aboutissement d’un processus d’exclusion qui écarte massivement des filières générales les élèves issus des classes populaires. Réputés « en difficulté » (comme si celles-ci les constituaient « naturellement »), les élèves se voient contraints non à faire un choix professionnel mais à intégrer une voie imposée qui devient ainsi de fait une voie de relégation. Les incidences en sont lourdes : c’est très tôt dans les histoires singulières des élèves, une image dépréciative de soi qui est renvoyée par la société et qu’il leur sera difficile de surmonter aussi bien dans la sphère privée que dans l’engagement collectif. Comment lutter contre une idéologie fataliste absolument mortifère, lorsque la relégation scolaire anticipe une relégation sociale. Relégation sociale qui se double d’une relégation genrée, au cœur de la voie pro. Les filles subissent une double peine, cantonnées majoritairement dans des filières du secteur sanitaire et social, du travail domestique, de l’aide aux plus fragiles.

L'apprentissage serait la réponse magique alors qu’il a fait la preuve de son inefficacité (12 % de décrochage dans la voie professionnelle scolaire chez les jeunes non encore diplômés, 38 %, voire jusqu’à 50 % de décrochage scolaire chez les mineurs). Le contenu même des apprentissages est touché : les programmes ont été modifiés au profit d'un apprentissage réducteur des notions et d'une vision très libérale de la société. Les heures de cours ont été réduites (1 heure de français en CAP, 3,5 heures au lieu de 5 pour assimiler les programmes de lettres, histoire et enseignement moral et civique). Des chapitres de culture générale ont été supprimés. Pourtant la voie scolaire est seule susceptible de permettre l'élévation du niveau de qualification, voire la possibilité de poursuite d'études, plutôt qu’une subordination précoce aux exigences économiques des employeurs.

D’où l’importance d’avoir une approche ambitieuse pour tous par l’affirmation d’un enseignement public, comme le préconisaient, au lendemain de la Libération, Georges Cogniot, Paul Langevin ou Henri Wallon en faisant le choix de l’élévation du niveau de connaissances et de l’accès à la culture. La revalorisation de l’enseignement professionnel implique une véritable revalorisation des métiers auxquelles elle conduit en repensant la hiérarchie actuelle des métiers à l'aune de la qualification des emplois, de la pénibilité des métiers et de leur utilité sociale. L’épisode de la pandémie en est une criante démonstration.

Christine Passerieux

Rédactrice en chef de Carnets rouges