Le Manifeste pour une conception communiste de l’ESS • Un évènement à découvrir d’urgence

L’économie sociale et solidaire (ESS) est un secteur économique complexe et hétérogène, dont l’histoire est émaillée de contradictions. Elle commence dans le sillage de Proudhon, comme solidarité ouvrière que la religion tend à transformer en charité. Pourtant Jaurès a vu dans les coopératives « une leçon vivante de socialisme », tandis que Guesde les dénonçait comme alliées du capital. Le mouvement syndical s’en est longtemps méfié à ce titre, et comme un cheval de Troie contre les services publics, jusqu’à ce que des luttes comme celles des Fralibs, créant une coopérative autogérée, ne fassent bouger les lignes. Inversement, le libéralisme s’emploie à faire prévaloir une conception de l’ESS la vidant de ses valeurs émancipatrices.

Il était donc temps que les communistes se penchent sur la question et se demandent s’il est possible de faire émerger une conception communiste de l’ESS. C’est chose faite ou, plus exactement, démarrée, avec la parution du Manifeste pour une conception communiste de l’économie sociale et solidaire aux Éditions de l’Humanité.

Cet ouvrage est le résultat d’un collectif de travail réuni par le secteur ESS du PCF, comprenant des militants communistes et quelques universitaires spécialistes de l’ESS. Il montre qu’en dépit de très nombreux obstacles, dont les récentes attaques du libéralisme, il existe bien une conception communiste de l’ESS, consistant à promouvoir, défendre et améliorer tout ce qui y existe déjà comme prémisses du communisme, tout ce qui peut mener aux chemins que l’on doit prendre dès maintenant pour dépasser le capitalisme, pour sortir de ce système mortifère.

Oui, il y a du « communisme déjà là » dans l’ESS.

La démocratie économique, rendue possible par la doctrine « une personne, une voix », est mise en œuvre dans un certain nombre de structures, telles quelques Scops autogérées, certaines Scics, des CAEs (coopératives salariant des auto-entrepreneurs), et nombre d’associations. Ainsi, sans abolir complètement la sujétion du travail qui caractérise le capitalisme, ces structures inventent des voies qui y tendent.

La solidarité, à laquelle il ne faut pas réduire l’ESS, reste une valeur émancipatrice indispensable dans cette période de profonde « crise anthropologique » que dénonçait le philosophe Lucien Sève.

Déceler les valeurs de l’ESS qui représentent du « communisme déjà là » ne signifie nullement une vision naïve ou une apologie sans nuance de l’ESS. Une analyse lucide et approfondie des obstacles, législatifs, institutionnels, économiques, comptables même, est présentée dans le troisième chapitre du livre.

Promouvoir l’ESS, mais surtout les valeurs communistes existantes dans l’ESS, et combattre à tous les niveaux les déviances et les obstacles, voilà la base sur laquelle des propositions d’actions peuvent émaner d’une conception communiste de l’ESS. Actions où nous retrouverons nombre d’acteurs de l’ESS, qui n’ont pas forcément pris conscience de leur proximité avec les valeurs du communisme que nous prônons. Actions auxquelles des préjugés anciens mais tenaces, que ce livre cherche à dissiper, empêchent parfois les communistes de se joindre, ou de leur donner l’ampleur nécessaire. Bien entendu, l’ESS, dans la société actuelle, ce n’est pas LE communisme, et la conception communiste de l’ESS que diffuse le Manifeste n’est pas la seule voie pour dépasser le capitalisme. Mais c’est une des voies, et il nous paraît fondamental de ne pas plus la sous-estimer que l’idéaliser.

Ainsi, dans cette période de crise économique où des centaines d’entreprises vont faire faillite ou fermer pour profits « insuffisants », les luttes qui pourront aboutir à la création de coopératives permettront non seulement de sauver des emplois, mais de leur permettre d’échapper en partie à la prédation capitaliste. C’est pourquoi le pouvoir freine des quatre fers, et qu’il y faudra la lutte opiniâtre des communistes, entre autres. Et c’est en cela aussi que le Manifeste est un outil précieux.

Janine Guespin, coordinatrice de l’ouvrage avec Sylvie Mayer.

L'ouvrage est en vente aux Editions de l'Humanité.