Le projet de fonds de relance de l’UE: un piège

Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a présenté le 27 mai un projet de fonds de relance à hauteur de 750 milliards, financé par un emprunt de l’UE sur les marchés financiers, en s’inspirant du plan Macron-Merkel. Ce fonds de relance servirait aux régions et aux secteurs économiques, à hauteur de 500 milliards de subventions et de 250 milliards de prêts. Cette proposition doit être approuvée, à l’unanimité, par le conseil européen le 19 juin prochain.

Elle représente sans conteste une nouveauté dans le paysage de l’UE, qui illustre à quel point les bourgeoisies européennes sont pétries d’effroi face à la crise du capitalisme précipitée par la crise sanitaire, qui met dans le débat public les questions de l’investissement et de la mutualisation des dettes au niveau européen, jusqu’alors soigneusement évitées. Mais en réalité, il s’agit ici d’un piège et d’un chèque en blanc que l’UE demande aux États et ce pour plusieurs raisons:

  • Elle reste insuffisante par rapport aux besoins des peuples européens, que le Parlement européen a chiffrés à 2 000 milliards d’euros dans l’immédiat.

  • Il s’agit d’un fonds de relance extraordinaire, alors que les besoins sont pérennes.

  • Les dettes que contractent les États les exposent à de nouveaux mémorandums d’austérité. Parallèlement, en effet, la Commission européenne a publié le 20 mai le «paquet de printemps» du semestre européen qui stipule explicitement: «Les recommandations [austéritaires] restent d’actualité et continueront de faire l’objet d’un suivi tout au long du cycle annuel du semestre européen de l’année prochaine.»

  • Elle ouvre la voie au renforcement de la fiscalité propre de l’UE, c'est-à-dire à un pas vers le fédéralisme, alors même que les fondamentaux austéritaires et libre-échangistes de l’UE ne sont nullement remis en cause structurellement; cette fiscalité pourrait donc partiellement se substituer à celle des États, ce qui fait ressembler fortement ce fonds de relance à une avance remboursable que les États membres reçoivent de l’UE.

«Non à l’Europe libérale, oui à une coopération entre peuples souverains en Europe.»

Ce fonds de relance présente donc de sérieux problèmes démocratiques pour les peuples et les nations d’Europe. Il est le fruit d’une tentative de compromis entre différentes factions qui se font jour au sein des classes dirigeantes européennes: entre d’une part les tenants du libre-échange pur et dur, opposés à toute idée de transfert financier au sein de l’UE, et opposés au programme de création monétaire de la BCE; et d’autre part les tenants de la tribune commune signée du Medef, de la Confindustria et du BDI allemand, publiée le 11 mai, qui appelle à une sorte de keynésianisme de l’offre.

Sans changement structurel qui s’attaque aux fondements de la construction capitaliste de l’UE, en particulier tels qu’ils se sont construits depuis l’Acte unique de 1986, ni remise en cause du contenu libéral et antidémocratique des traités européens, ce fonds de relance prendra place dans la longue litanie du balancier de l’histoire de l’UE, entre le respect maladif de l’orthodoxie monétariste, cette fois-ci à tendance nettement fédéraliste, et l’ouverture affolée des vannes financières.

Engouffrons-nous dans les contradictions ouvertes, autour de 4 points principaux:

  1. Mettre fin à l’austérité européenne, par l’abolition définitive du pacte de stabilité et de croissance, du pacte budgétaire et du semestre européen.

  2. Réorienter et contrôler démocratiquement l’argent en Europe. La BCE vient d’annoncer une augmentation de son programme de création monétaire. Et mettre à contribution l’immense réservoir que constitue la création monétaire. Ce sont des moyens immédiatement disponibles. Ils doivent abonder un fonds de développement placé sous contrôle des Parlements nationaux et du Parlement européen, et créé pour financer de manière pérenne les infrastructures comme les politiques d’emploi ou de services publics. Que l’UE emprunte, la BCE est tout à fait capable de racheter ces emprunts pour abonder le fonds. Cela implique de mettre fin à l’indépendance de la BCE. Le débat est aujourd’hui posé!

  3. Annuler les dettes publiques des États. Cela n’est nullement incantatoire, car c’est une question politique. La conférence de Londres de 1953 l’a fait pour la dette de la RFA. Une conférence européenne de la dette est à l’ordre du jour.

  4. Lancer un processus d’harmonisation vers le haut de l’imposition des entreprises en Europe, en instaurant l’imposition des entreprises à la source. Ce serait un moyen concret de lutter contre l’évasion fiscale, qui coûte aux États bien plus que ce fonds de relance leur rapporterait.

Ces mesures transitoires dessinent une perspective, celle d’une Europe à géométrie choisie. Chaque peuple fait des choix souverains et doit rester libre d’en changer à tout moment, par exemple en utilisant l’euro non pas comme une monnaie unique, mais comme une monnaie commune. Aucun peuple ne peut être entraîné dans des choix qu’il récuse. Le peuple français, il y a 15 ans, a dit non à l’Europe libérale et oui à une coopération entre peuples souverains en Europe. C’est dans cette perspective que nous nous plaçons.

Vincent BOULET
responsable Europe du PCF