Pendant la crise sanitaire quelques évolutions idéologiques

Le « Baromètre de la confiance politique » est une enquête académique devenue l’enquête de référence française sur la question de la confiance des Français dans la politique. La base de données constituée depuis 11 années d’enquête permet un suivi longitudinal exceptionnel de dimensions comme la confiance en soi, dans les autres, dans les institutions et le personnel politique, mais aussi le rapport à la démocratie, à ses principes et à son fonctionnement en France.

 

Pour la première fois, le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) a fait le choix de comparer son enquête simultanément avec trois pays européens : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. La ré-interrogation, en pleine période de confinement, des personnes qui avaient répondu au Baromètre de la confiance en février, permet une comparaison inédite entre les attitudes et les comportements sociaux et politiques mesurée juste avant et juste après le confinement. L’un des intérêts majeurs de cette comparaison est qu’il s’agit d’un panel : en interrogeant les mêmes personnes on peut tester l’hypothèse d’un « effet Covid-19 » et répondre ainsi à la question de savoir « quel effet joue sur les perceptions et les attitudes en termes de confiance ».

On ne sera pas étonné des montées des inquiétudes, des sentiments anxiogènes, des méfiances (capacités critiques ?). Nous avons choisi d’appliquer quelques zooms sur certains aspects. L’ensemble de l’enquête, 150 pages, est disponible sur le site du Cevipof. Le lecteur y trouvera les évolutions et contradictions à l’œuvre.

Le système capitaliste doit être réformé en profondeur

Cette crise provoque un renforcement des critiques envers le modèle occidental et la mondialisation. 65 % des sondés approuvent l’idée que leur pays devrait « se protéger davantage du monde » (+ 9 points), 75 % estiment qu’il « faudra à l’avenir mieux contrôler les frontières » et 74 % que « c’est à l’État français et pas à l’Union européenne de contrôler les frontières ». Cette méfiance se reporte également sur le modèle économique et le libre-échange : 45 % des personnes interrogées veulent que « le système capitaliste soit réformé en profondeur » (+ 6 points par rapport au mois de février) et 46 % qu’il soit « réformé sur quelques points », en baisse de quatre points (total de 91 %). Ces sentiments existent chez nos voisins mais ils sont beaucoup moins prononcés : 55 % des sondés allemands et 43 % des Anglais,

Attachement à la démocratie

Les sondés français restent profondément attachés à la démocratie. 76 % approuvent « un système politique démocratique avec un parlement élu qui contrôle le gouvernement », bien loin devant l’idée d’un régime avec « à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections » (34 %) ou un pays dirigé par l’armée (16 %). Alors que l’épidémie n’est pas encore totalement vaincue, 84 % des sondés français affirment que « le gouvernement devra rendre des comptes », 80 % qu’il y a eu des « fautes commises par certains membres du gouvernement ».

La situation sanitaire pourtant gérée très différemment (dépistage massif pour les Allemands, confinement plus tardif pour les Anglais), la mansuétude de l’opinion est pour le moment plus grande. 74 % des Allemands interrogés et 69 % des Anglais pensent que leur gouvernement a bien « géré cette crise ». En France, ce taux d’approbation n’est que de 39 %. « Le gouvernement français a peut-être déjà perdu la bataille de la confiance, analyse Bruno Cautrès du Cevipof.

Poussée de confiance dans le service public et forte demande de protection économique et d’un rôle accru pour l’État

La demande de protection, si elle désigne toujours davantage les catégories populaires, progresse dans les catégories moyennes et supérieures où cette demande a le plus augmenté. Il semble bien qu’il s’agisse d’une remise en cause plus générale des conditions de l’action publique.

Cette montée en force de la demande de protection à l’égard de la mondialisation signifie-t-elle la disparition, depuis longtemps annoncée, du clivage gauche-droite ? Il n’en est rien, car cette demande est bien plus forte à droite qu’à gauche.

Notons qu’il s’agit plus d’une demande de protectionnisme économique plus que d’une fermeture xénophobe.

On enregistre une poussée de confiance dans les grands services publics, et notamment dans le secteur hospitalier, une grande confiance dans les informations fournies par les médecins, bien plus d’ailleurs que dans les statistiques officielles provenant du gouvernement.

Patrick Coulon