Petite histoire des journalistes et réalisateurs communistes à la radio-télévision (7)

Raoul Sangla, qui connaissait par cœur la machinerie télévisuelle, regretta, sur le tard, ce qu’était devenu ce média : « Un grand alambique du consensus, un instrument d’aliénation qui avait pourtant une autre destinée. » La venue du privé, avec sa logique marchande, sa tyrannie de l’audimat, avait finalement dévoyé le petit écran. Quant à l’intégration des journalistes communistes, exigence évidemment légitime, elle aurait été vraiment efficace si elle s’était accompagnée d’une réforme en profondeur du système d’information, ce que le pouvoir mitterrandien refusa.


Placés souvent dans des positions délicates, ces journalistes allaient connaître des sorts différenciés. Ne parlons pas, ou peu, de ceux qui vont tout simplement « tourner casaque », l’exemple le plus frappant étant celui de Jean-Luc Mano, journaliste de l’Humanité, qui intégra en sa qualité de communiste TF1 en 1983 ; il allait se mitterrandiser bien vite et finir au service de « la com des riches », comme l’écrivit un jour le Nouvel Observateur (il conseillera par exemple le prince de Monaco !).


Mais à l’exact opposé, on trouve la figure de Marcel Trillat (1940/2020). Devenu chef du service société sur A2, il participa activement à la rédaction de la chaîne, à l’animation d’un « vrai débat » qui allait durablement marquer le climat de la rédaction. Lors de la première cohabitation (Mitterrand/Chirac), six rédacteurs sont écartés, et Marcel Trillat se retrouva, trois ans, en poste à Rome. Il revint comme directeur adjoint de l’information et se porta volontaire pour aller en Arabie saoudite couvrir la guerre du Golfe. Là, « il sauve l’honneur des journalistes », une expression plusieurs fois entendue dans la bouche de ses confrères. Ainsi, le 2 février 1991, au journal de midi, il dénonce en direct la mise en scène américaine de la guerre et la mainmise des médias US sur les informations traitant du conflit. Le soir même on lui demande de redévelopper ce thème à l’antenne. Cette question suscita une polémique. Libération consacra une double page à « la courageuse sortie de Marcel Trillat pour qu’enfin l’on sache en France et en direct à quoi s’en tenir sur la qualité des informations transmises depuis le terrain sur le conflit en cours ». Marcel Trillat fut soutenu par la profession mais critiqué par sa hiérarchie. Il se retrouva ensuite correspondant à Moscou pour deux ans. À son retour à Paris, il collabora essentiellement à l’émission « Envoyé spécial ». Son documentaire « Les prolos » est de 2002. Il fut président de la société des journalistes d’A2. Il prit sa retraite en 2006 et réalisa « Silence dans la vallée » (2007), « L’Atlantide, une histoire du communisme » avec Maurice Failevic (2013) et « Les étrangers dans la ville » (2013).


Ajoutons, pour compléter cette série, une petite bibliographie, très incomplète : Roland Passevant : « Journaliste sous haute surveillance » (1987) et « La mafia du 4e pouvoir » (1989) ; François Salvaing : « Parti » (et sa nouvelle « Le sosie ») ; Michel Strulovici, « Évanouissements » ; Jean-François Téaldi : « Journaliste, syndicaliste, communiste - 37 ans d'un combat dans l'audiovisuel » ; Michel Diard : « Journalistes, brisez vos menottes de l’esprit » et « L’avatar du journalisme ».


Pour finir en beauté, signalons la sortie récente d’un coffret (de quatre DVD) d’un grand moment de la télévision rouge : « Émile Zola ou la conscience humaine », une série de Stellio Lorenzi de 1976 (chez Elephantfilm). 


Gérard Streiff