Jacky Hortaut
co-animateur du Collectif français « Libérons Mumia »
Pour en savoir plus sur le combat de Mumia et de ses soutiens en France :
Q - À l’initiative du Collectif français «Libérons Mumia», vous venez de rendre visite à Mumia Abu-Jamal dans sa prison à la tête d’une délégation syndicale, composée du SNJ-CGT et d’un dirigeant du syndicat américain des journalistes NWU qui représentait la Fédération internationale des journalistes. Quelle importance a pour vous cette solidarité syndicale en cette 42e année de détention ?
Régulièrement des délégations françaises lui rendent visite, ce qu’il apprécie beaucoup. Mais cette fois, il a manifesté un plaisir particulier à discuter durant trois heures avec des confrères, un moment rare que la prison n’accorde pas ordinairement aux journalistes. Ce soutien professionnel et syndical intervenant à un moment où la justice doit se prononcer sur la demande de révision de sa condamnation est un atout supplémentaire qui vient en appui des prises de position en sa faveur de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, du Parlement européen et d’Amnesty International.
Q - Quelle a été la teneur de cette rencontre ?
Comme à son habitude, Mumia a nourri lui-même les échanges sur l’état du monde : les guerres et la souffrance des peuples, la misère économique et sociale pour les plus démunis, les bouleversements climatiques, autant pour lui de conséquences générées par le système capitaliste en crise profonde. La pandémie de Covid ayant été le révélateur de ce qu’il appelle « l’empire en état de décomposition ». Attentif aux combats politiques et sociaux, il a tenu à saluer les grèves et les manifestations contre la réforme des retraites en France.
Il nous a également longuement parlé de la dégradation des conditions de détention des prisonniers depuis la période pandémique du Covid. Les visites sont réduites drastiquement car les inscriptions se font uniquement par Internet et sont prétexte à des refus sans la moindre explication, privant ainsi les familles de leur droit. L’alimentation est déplorable et totalement inadaptée à l’état de santé des détenus malades ou fragilisés par les années de détention, comme c’est son cas.
Q - Mumia a connu une terrible année 2022, avec de graves problèmes de sa santé et le décès de son épouse. Comment va-t-il à quelques semaines de son 69e anniversaire ? A-t-il toujours une activité intellectuelle intense malgré l’enfermement ?
Malgré la maladie et les souffrances, Mumia reste un combattant déterminé et la tête bien pleine, au point de préparer une thèse de doctorat sur la déshumanisation des prisons américaines conduisant de nombreux détenus à la récidive, conséquence selon lui de la politique d’incarcération de masse avec 2,3 millions de prisonniers. L’écriture c’est sa thérapie, sa raison d’exister et de combattre. La publication de plus d’une dizaine de livres en quatre décennies en témoigne. Et quelle revanche pour lui d’en retrouver certains à la bibliothèque de la prison mis à la disposition de ses codétenus.
Q - Au plan judiciaire, où en est-on de la bataille menée par son équipe de défense et ses soutiens pour la révision de son procès ?
Nous sommes à un moment clé du processus judiciaire avec la découverte récente de documents d’archives prouvant l’implication raciste et l’usage de pratiques illégales des magistrats qui ont abouti à sa condamnation à mort en 1982. Avec ces nouvelles preuves - après quatre décennies de recours et de mobilisation internationale -, un droit d’appel gagné de haute lutte par ses avocats est en cours d’examen. Si la juge en charge de l’affaire consent à donner une suite favorable à cette procédure, Mumia pourrait enfin défendre son innocence devant une juridiction en révision de sa condamnation. La voie serait ainsi ouverte à sa possible libération.
Q - Comment élargir la campagne de solidarité pour qu’enfin celui que ses collègues journalistes à Philadelphie surnomment «la voix des sans voix» retrouve sa liberté et sa famille ?
La mobilisation aux États-Unis, comme dans le monde entier, reste essentielle pour le sortir de l’enfer carcéral. À cet effet, les organisations américaines de soutien à Mumia Abu-Jamal ont organisé récemment un grand meeting à Philadelphie rassemblant de nombreuses personnalités pour dénoncer l’acharnement judiciaire dont cet homme est la victime. Cette conférence a été diffusée en direct sur toute la planète. Intensifier la mobilisation, interpeller les autorités politiques et judiciaires américaines - comme l’a fait récemment la ville de Paris en soutien à son citoyen d’honneur - sont plus que jamais nécessaire « pour ramener Mumia à la maison ». Le rassemblement place de la Concorde à Paris chaque premier mercredi du mois à proximité de l’ambassade des États-Unis est un des moyens.