Brexit: Ce que Johnson et les classes dirigeantes européennes piétinent

C’est dans une atmosphère de décomposition politique que Boris Johnson, fidèle aux traditions autoritaires de la droite dure britannique, a imposé la suspension du Parlement pour cinq semaines.

Un député travailliste comparait lundi 9 septembre la situation au coup de force de… Charles Ier en 1629, dont on sait comment le conflit avec le Parlement s’est terminé. Johnson et les ministres qui l’entourent trouvent leurs racines politiques dans la pire droite anglaise, celle de Margaret Thatcher et celle des conservateurs colonialistes de l’époque victorienne. La figure un peu oubliée, mais révélatrice, de Robert Cecil, marquis de Salisbury, Premier ministre de Victoria à la fin du XIXe siècle, est actuellement fort en vogue chez les Brexiters de droite : c’est lui qui porte la responsabilité des atrocités de la guerre des Boers en Afrique du Sud et… d’une tentative de renversement du gouvernement au Venezuela.

C’est cette même droite britannique qui aujourd’hui cherche à piétiner en bloc les aspirations du peuple britannique à ne pas être les premières victimes du Brexit, que l’on ait voté «Remain» ou «Leave», alors qu’il a déjà été victime de plusieurs années d’une politique d’austérité extrêmement brutale transformant le Royaume-Uni en pays de travailleurs pauvres et fliqués, où la sécurité sociale a été assassinée par les conservateurs. Ces aspirations sont à l’origine des manifestations #StopTheCoup dans plus de 80 villes du pays. Elle cherche aussi à piétiner les droits humains élémentaires et fondamentaux, par l’annonce de la fin du groupement familial pour les enfants de réfugiés dès le 1er novembre; ainsi que les Accords de paix en Irlande et les droits fondamentaux du peuple irlandais que ces derniers garantissent. Le tout réalisé par un Premier ministre élu par moins de 100 000 personnes, en l’occurrence par les membres du parti conservateur. Car, derrière la perspective d’un Brexit sans accord le 31 octobre prochain, c’est bien l’ensemble d’un modèle de société, déjà bien attaqué, que les conservateurs veulent remettre en cause, pour le grand bénéfice de cette partie de la bourgeoisie anglaise qui cherche à conclure un nouvel accord commercial de libre-échange avec les États-Unis et qui trouve que les fort maigres «filets de sécurité» en termes de droit du travail et de normes environnementales et alimentaires de l’Union européenne sont déjà trop contraignants.

On ne saurait non plus dédouaner les bourgeoisies européennes de leur responsabilité. Arc-boutées sur la défense du «marché intérieur», des «libertés fondamentales» de l’UE, à savoir, entre autres, la liberté de circulation des marchandises et des capitaux, les classes dirigeantes européennes sont totalement incapables d’ébaucher une once de début de réflexion sur les origines profondes du vote du peuple britannique pour quitter l’UE. Pas un seul boulon de la construction capitaliste de l’UE ne mérite d’être changé: voilà la démonstration que cherchent à faire les classes dirigeantes européennes depuis le Brexit et c’est dans ce sens que Michel Barnier négocie le Brexit.

“Le combat de la gauche du Parti travailliste doit être soutenu“

Mais au Royaume-Uni, la gauche n’a pas dit son dernier mot, même si la situation est évidemment extrêmement complexe et difficile. Le combat de la gauche du Parti travailliste, de Jeremy Corbyn, pour un accord qui respecte et garantisse les droits sociaux et démocratiques du peuple britannique ainsi que les normes écologiques et alimentaires, doit être soutenu. De même que l’appel des syndicats britanniques, réunis en congrès depuis dimanche, à «l’unité des travailleurs contre la cabale d’extrémistes de droite et de fanatiques du libre-échange» est un élément important dans la situation.

Vincent Boulet
responsable-adjoint aux questions européennes
article publié dans CommunisteS du 11 septembre 2019