Discours de Fabien Roussel devant la dernière planque des Manouchian - 21 février 2024

Publié le 21 février 2024

Monsieur le vice-président du Sénat, cher Pierre Ouzoulias,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Madame la Secrétaire générale de la Confédération Générale du Travail, chère Sophie Binet,
Mesdames, Messieurs les présidents d'association,
Mesdames, Messieurs,

Nous sommes rassemblés ici, rue de Plaisance, devant ce lieu où, clandestins, Missak et Melinée Manouchian vécurent au plus dur de la guerre. Une petite rue toute simple, comme il y en a tant dans notre pays, une rue où frémissait un amour, une rue où grandissait un espoir, celui, formidable, de la Résistance à l'oppresseur et du triomphe de la liberté.

Nous sommes ici pour rendre hommage à cet homme, Missak Manouchian et à cette femme, Mélinée Manouchian ; à leurs frères et à leurs sœurs de combat : Celestino, Olga, Joseph, Georges, Rino, Thomas, Maurice, Spartaco, Jonas, Emeric, Léon, Szlama, Stanislas, Cesare, Armenak, Marcel, Roger, Antoine, Willy, Amedeo, Wolf, Robert et les dizaines de milliers d'autres, ceux qui furent arrêtés plus tôt, ceux qui furent arrêtés ensuite, ceux qui furent déportés et qui ne revinrent jamais, ceux qui survécurent. Tous ces hommes et ces femmes, nés ici ou ailleurs, qui coururent tous les risques pour que nous vivions libres et debout. En pleine humanité.

Dans sa dernière lettre à Mélinée, Missak Manouchian écrivait : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. »

Regarde, Missak. Combien tu avais raison. À travers Mélinée et à travers toi, c'est toute la mémoire de tes camarades, de Joseph Epstein, des FTP-MOI que la Nation salue avec infinie reconnaissance. Celle de tous ces étrangers, Polonais, Roumains, Italiens, Arméniens, ces athées, ces croyants, ces juifs, ces agnostiques, francs-maçons, unis pour défendre leur liberté, la liberté, celle de la Grande Révolution, celle de la République contre la nuit fasciste.

Cher Missak, dans cette cohorte fraternelle qui croyait si fort à l'unité du genre humain, à l'égalité des hommes et à l'universalité de leurs droits, je veux avoir un mot particulier de tes camarades juifs : il y avait si peu de juifs dans la France de cette époque ; ils furent pourtant si nombreux à tes côtés malgré la haine plus féroce encore qu'ils devaient affronter à travers l'entreprise génocidaire nazie et ses fidèles soutiens vichystes français. Avec toi, avec tous, au sein du PCF, ils étaient au combat pour la liberté, pour l'égalité, pour la grande fraternité humaine.

À travers toi, Missak, c'est l'étranger, l'Arménien amoureux de la France des Lumières, de Hugo et Rolland que nous célébrons. C'est le poète amoureux des mots, autant que de la Révolution française.

Cette fascination, Mélinée la décrira plus tard : « Paris, ce nom évoquait en lui tout un univers de choses possibles, d'espérances vécues, de rêves réalisables. Il se répétait les noms de Marat, Robespierre, Danton, Saint-Just, les grands encyclopédistes qui avaient été les prophètes et les artisans de la grande Révolution. »

Telle était la France dont tu rêvais et qui nous anime encore aujourd'hui.

Avec tes camarades, vous aviez toutes et tous l'internationalisme chevillé au corps. Un sens aigu de l'humanité, qui te fit proclamer, quelques heures avant de mourir sous les balles allemandes : « Je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit. [...] Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre, qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... »

Bonheur, ce mot de Saint-Just qui court, intact, jusqu'à tes lèvres, à quelques heures de la mort et nous pousse encore aujourd'hui.

Menuisier à La Seyne puis ouvrier chez Renault, Missak, tu partageais la vie des travailleurs étrangers en France ; celle de la classe ouvrière.

Tu en explores la belle fraternité, la solidarité entre ouvriers français et étrangers face aux concurrences attisées par le patronat. Tu affrontes aussi la xénophobie, le racisme, qui montent comme une mer terrible avec la crise des années 30 avant de devenir idéologie d'État avec l'arrivée de Pétain au pouvoir.

Dans ton poème «Restons éveillés», dédié «aux travailleurs immigrés », tu soulignes à quel point ceux-ci doivent se prémunir en permanence contre le poison des haines raciales. Prenons garde de ne pas oublier ce message.

L'affiche rouge, les FTP MOI. 20 et 3 étrangers et nos frères pourtant.

Il en fallait du courage à ces partisans pour entreprendre une guérilla en plein Paris, notamment en cette année 1943, quand le rapport des forces dans la capitale leur était si défavorable.

Ils étaient jeunes et rien ne les destinait à la guerre.

Je pense à ceux de ma région que nous honorons tous les ans, à la même période, l'italien Eusébio Ferrari, jeune résistant communiste de 22 ans abattu à Anzin avec ses camarades, le polonais Tadeus Cichy et le français René Denys. Leur premier fait d'arme fut d'accrocher en haut d'un pylône électrique un drapeau rouge sur lequel est écrit : « Courage et confiance, nous vaincrons ». C'était le 30 juin 40, quelques jours après l'appel de De Gaulle et Tillon.

Plus tard, ils furent à l'origine d'une attaque à Lille au cours de laquelle deux officiers allemands furent tués.

A Paris, dans le Nord, à Marseille, dans les Cevennes, partout en France, une jeunesse résistante s'est levée.

Ces jeunes hommes, ces jeunes femmes, épris de justice, farouches partisans de la paix et du respect de la dignité humaine se voyaient avant tout comme les soldats d'une armée de Libération de la France. Ils n'étaient pas animés par la haine.

À ce titre, le combat dans la Résistance ne s'est jamais confondu avec du terrorisme, avec des attaques contre des civils, des femmes, des enfants, qu'ils soient Français ou même de nationalité allemande.

Ils avaient un sens aigu de l'humanité et de leur engagement, y compris jusque dans les choix de leur cible, quand bien même les crimes nazis furent parmi les pires que l'Humanité ait connus.

Cette humanité préservée au cœur de l'horreur n'a pas empêché les Allemands de les qualifier, eux, ces Résistants, ces soldats de la liberté et du bonheur, de « terroristes », de « dangereux communistes », de « juifs », tous ces mots ayant la même valeur d'insulte dans la langue nazie.

Je veux aussi parler de Mélinée Manouchian qui t'accompagne ce jour, au Panthéon. Je veux, à travers elle, saluer le rôle des femmes dans la Résistance et dans les FTP-MOI. C'est Olga Bancic, cette Roumaine au courage infini, qui traque et livre des armes au groupe Manouchian, dont celle qui tue le colonel SS Julius Ritter. C'est aussi Cristina Boïco qui repère les dignitaires nazis, identifie leur adresse, leurs horaires de départ, de retour, donne toutes les informations qui permettent les coups d'éclat qui retentissent dans tout le pays. Olga et Cristina donnent au peuple cet espoir sans lequel il n'y a pas de combat. Les résistantes tinrent tous les rôles. Elles vécurent toutes les répressions. Car les nazis ne les épargnèrent pas, ces femmes, arrêtées, déportées, décapitées. Elles méritent toute la reconnaissance de la Nation.

Mes chers amis, mes camarades, si nous saluons aujourd'hui le soldat Manouchian, nous sommes aussi fiers de l'appeler camarade. C'est un si joli nom, camarade.

Car dans dans la France des années trente, celle des ligues factieuses mais aussi celle du Front populaire, Missak Manouchian fait le choix de l'antifascisme et de la démocratie. Il fait le choix de rejoindre le Parti communiste.

C'est dans le fond de son histoire, dans l'espoir de ce combat communiste, qu'il se forge une conscience politique à même de le tenir debout quand l'Occupation survient.

Cette trajectoire, il la partage avec tant de militantes et de militants communistes. C'est pourquoi cette entrée au Panthéon, je la vis comme un honneur mais aussi comme une réparation. Pour elles toutes. Pour eux tous.

Un honneur car elle rend hommage, enfin, à ce peuple travailleur, à ce monde du travail, à ces hommes et femmes qui, sans distinction d'origine, de couleur, de religion, firent le choix de s'unir contre l'occupant. Que le PCF soit représenté par Missak Manouchian, l'ouvrier, le poète, l'arménien, le communiste est un immense honneur pour nous. Une fierté.

C'est une réparation aussi car la Résistance communiste était jusqu'ici comme tenue en lisière des hommages républicains. Malgré tous les combats, malgré tous les morts. Enfin, aux cotés de Jean Zay, Germaine Tillon, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette, Simone Veil, Jean Moulin, Josephine Baker, les communistes, morts pour la France, retrouvent la place qui est la leur dans l'histoire de la Nation.

Nous sommes fiers d'avoir participé à la libération de la France, d'avoir contribué à l'union des mouvements de résistance et à la création du Conseil national de la Résistance. Avec Jean Moulin, le gaulliste, avec Robert Chambeiron, l'ami de Pierre Cot, le ministre radical du Front populaire, avec Louis Saillant, le syndicaliste, le socialiste, avec Gaston Tessier, le catholique, avec tant d'autres, nous dessinions, dans la pénombre de la clandestinité, la France nouvelle à naître.

Nous sommes fiers de notre camarade Pierre Villon, celui qui a proposé ce texte qui va devenir, avec l'apport de tous, le programme de la Résistance tout entière : les Jours heureux.

Car l'engagement héroïque de ces hommes et de ces femmes a été nourri par le formidable espoir placé dans la construction de ce programme incroyablement ambitieux, qui imaginait la France dans laquelle ils rêvaient de vivre alors que le pays était encore occupé. Quelle audace fallait-il pour réaliser cela tout en étant pourchassé.

Merci à toutes celles et tous ceux, militants et élus communistes, citoyens de progrès, historiens, d'Albert Ouzoulias au lendemain de la guerre, à Pierre Ouzoulias, son petit-fils et sénateur, tous ceux qui ont amené le Président de la République à prendre cette juste et grande décision. Et je l'en remercie.

Merci à Eluard, Aragon, Ferré, à tous ces artistes qui ont écrit et chanté la légende.

Merci à Henri Krasucki, déporté lui-même et aux dirigeants de la CGT d'avoir toujours fait vivre cette mémoire, aux côtés des communistes, de ces militants qui, tous les ans depuis 1944, honorent leur mémoire.

Oui, Missak, Mélinée, vous avez tant mérité l'hommage de la nation française.

La France est votre pays. Qu'elle est belle quand elle a vos visages, le visage de l'amour, de la vie, de la liberté. Le visage de l'humanité en plein soleil.