L’autre élargissement de l’UE et ses dangers : la Moldavie

Publié le 02 novembre 2023

La question de l’élargissement de l’Union européenne sera l’un des principaux enjeux des prochaines élections européennes. L’un des pays concernés est la Moldavie, reconnue candidate en juin 2022.

Ce pays est peu connu, mais son avenir et les influences concurrentes qui s’y exercent sont importants pour l’Europe. L’UE accélère le processus d’adhésion en ayant envoyé une mission à Chisinau, la capitale, au printemps (EUMP Moldova). La Communauté politique européenne y a tenu son sommet en juin 2023. La perspective d’intégration du pays à l’UE est activement soutenue par le parti PAS (Parti Action et Solidarité), qui bénéficie de la majorité absolue au Parlement et détient la présidence de la République, avec Maia Sandu. Ce parti, fondé par des proches de l’oligarque Vlad Filat et avec le soutien de l’International Republican Institute, lié au Parti Républicain étatsunien, développe des liens forts avec les conservateurs européens, notamment la CDU allemande.


La Moldavie est sans doute l’un des pays où le poids de l’oligarchie dans la vie politique est le plus fort. En 2014, les trois principaux oligarques, Vlad Filat, Vladimir Plahotniuc et Ilan Șor (qui a créé un parti à son nom, ultraconservateur et poutinien, désormais interdit), ont été accusés du « casse du siècle ». À eux trois, ils ont dérobé l’équivalent de 12 % du PIB du pays. Les deux derniers ont été contraints à l’exil.


Ce pays repose sur des équilibres fragiles, que l’adhésion à l’UE remettrait en cause. La rupture des équilibres serait un risque majeur pour son avenir. La population moldave est l’une des plus pauvres d’Europe, marquée par un taux d’activité de 41 % seulement et un salaire moyen de 550 dollars, qui a enregistré une baisse de 10 % en valeur réelle du fait de l’inflation. Elle connaît d’ores et déjà une très forte émigration pour le travail. L’adhésion à l’UE libérale ne serait pas une protection pour la population et renforcerait les rapports de dépendance. La population est aussi politiquement très diverse. Un sondage indépendant mené en mars 2023 a montré que 31 % des Moldaves se déclarent « culturellement proches » de la Roumanie, 21 % de la Russie et 45 % « ni de l’une, ni de l’autre ». Par ailleurs, 33 % se disent favorables à une union avec la Roumanie, et 59 % s’y déclarent opposés.


On voit ainsi qu’une majorité de la population est attachée à la préservation de ces équilibres, garants de l’unité et de l’indépendance du pays. Par ailleurs, la politique libérale menée par le gouvernement actuel s’attaque également aux fragiles équilibres territoriaux. La province autonome de Gagaouzie, qui a conclu un compromis avec le pouvoir central en 1994, a pris lors des élections provinciales de mai 2023 des orientations contradictoires avec celles du gouvernement. La question de la province de Transnistrie, qui a proclamé son indépendance en 1990 est toujours pendante. Une intégration de la Moldavie à l’UE renforcerait les tensions et les divergences. Le président du Parti communiste de Transnistrie, Oleg Korzhan, opposant au pouvoir en place à Tiraspol, y a été assassiné en juillet. Ses assassins courent toujours.


Enfin, bien évidemment, la guerre en Ukraine et l’exacerbation des rivalités régionales entre la Russie et l’OTAN ont de très fortes conséquences sur la vie du pays. L’adhésion de la Moldavie à l’Union européenne serait accompagnée d’un resserrement des liens avec l’OTAN, ce qui serait grave pour la sécurité collective dans la région. D’ailleurs, une majorité de la population moldave est opposée à l’entrée du pays dans l’Alliance atlantique (62 % selon un sondage de février 2023).


C’est dans ce contexte que se déroule la campagne des élections locales qui auront lieu le 5 novembre prochain, alors que les tensions et les crispations antidémocratiques du pouvoir s’accroissent. La candidate à la mairie de Chisinau présentée par le Parti des communistes de Moldavie s’est vu interdire l’accès à la plus grande chaine de télévision de pays parce qu’elle parle russe (langue quotidienne de la moitié de la population). Des membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, à l’initiative du groupe de la Gauche, ont publié le 26 octobre une déclaration s’inquiétant de l’autoritarisme croissant du pouvoir en matière d’indépendance de la justice et de pluralisme démocratique.


L’adhésion de la Moldavie à l’UE serait donc dangereuse pour l’avenir du pays. Son indépendance et son existence même reposent sur des équilibres fragiles dont la remise en cause aurait des conséquences graves pour la région et la population moldave. Cela signifierait que la Moldavie serait à la fois une petite périphérie de l’UE sur le plan des rapports de domination capitaliste, et une pointe avancée de l’euro-atlantisme sur le plan des rapports de domination impérialiste. Cela la mettrait donc dans une situation extrêmement inquiétante. Les conséquences en seraient imprévisibles.