L’urgence de sortir de l’OTAN

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) est une organisation politique et militaire aux objectifs bellicistes, née en 1949 pour combattre l’URSS. On aurait pu croire naïvement qu’une fois l’URSS disparue en 1991, faute de raison sociale l’OTAN se dissolve. Or, non seulement l’OTAN n’a pas été dissoute, mais elle s’est au contraire étendue en intégrant de nouveaux membres. Au mépris de la parole donnée à l’URSS en 1990 puis à la Russie, l’OTAN s’est élargie à l’Est. Elle est passée de la guerre froide à la guerre chaude, en intervenant militairement, notamment dans les Balkans, en Afghanistan, en Lybie, avec l’ambition de se poser en organisation concurrente à celle de l’ONU.

Le fonctionnement réel de l’OTAN qui compte à ce jour vingt-neuf membres1, fait que rien ne peut se faire sans au moins l’accord tacite des États-Unis, alors que dans le même temps la Maison-Blanche, dans son action politique et militaire, n’est en rien redevable aux autres membres de l’OTAN. Le système de communication militaire de l’OTAN, avec notamment la liaison 162, est fait de telle manière que le Pentagone peut savoir tout ce que font les armées des pays membres de l’OTAN alors que le propre système de communication des Américains reste opaque à leurs « alliés ». Malgré l’existence aujourd’hui de Galileo3, les systèmes de géolocalisation et de guidage des armes des pays de l’OTAN sont exclusivement dépendants du GPS4 états-unien. Washington peut ainsi décider de couper ou de dégrader le système GPS sur une zone afin d’y désorganiser5 une armée de l’OTAN qui y agirait sans son bon vouloir.

Cette absence structurelle et historique d’indépendance des armées des membres de l’OTAN par rapport aux choix stratégiques des États-Unis a conduit en 1966 de Gaulle à sortir du commandement militaire intégré de l’OTAN, tout en restant membre de l’Alliance atlantique. Malheureusement, à partir de la présidence de Giscard d’Estaing un mouvement de réintégration au commandement unifié de l’OTAN a été progressivement opéré par les présidents successifs, l’armée française participant sous commandement de l’OTAN aux guerres du Kosovo en 1999 et d’Afghanistan à partir de 2001. Nicolas Sarkozy officialisa le retour de la France dans l’organisation militaire intégrée de l’OTAN en 2009. Si Hollande, alors dans l’opposition, déposa une motion de censure à l’Assemblée nationale contre la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré, il s’empressa de l’oublier une fois parvenu au pouvoir. Pire, lorsque Snowden révéla que la NSA pratiquait l’espionnage massif de la France, l’armée de l’air française, sur ordre de l’OTAN, interdit l’espace aérien national à l’avion diplomatique du président de Bolivie Evo Morales sur la base de la présence supposée à bord de Snowden.

Depuis son avènement, Macron, avec le soutien timide de l’Allemagne, a lancé l’idée d’un pilier européen de l’OTAN dont l’ambition serait de traiter d’égal à égal avec les États-Unis. Or Washington, quel que soit le président, ne permettra jamais l’existence d’un quelconque pilier européen de l’OTAN. Le Pentagone ne partagera jamais son leadership absolu sur l’OTAN. Au contraire, il continuera à tout faire pour que les armées européennes soient de plus en plus intégrées et dépendantes de leur système militaire pour le plus grand bénéfice du complexe militaro industriel états-unien. De plus, la Pologne, les Pays baltes, la Hollande, la Roumanie, l’Albanie, la Hongrie et la Grande-Bretagne, pour des raisons diverses, s’opposent farouchement à l’existence du pilier européen voulu par Macron, en particulier s’il est sous direction française.

Si Macron avance cette idée de pilier européen tout en le sachant irréalisable, c’est qu’il s’agit de sauver, face à l’opinion publique française, le soldat OTAN. Car il sait que la participation de la France à l’OTAN et l’existence même de cette organisation sont de plus en plus contestées, et cela bien au-delà des seuls rangs des communistes et des gaullistes historiques.

Plus personne ne croit que « le soldat Ryan » va sauver la paix, la liberté et la démocratie en Europe alors que grandit la prise de conscience du danger que représente l’OTAN pour la paix.

Dangereuse et toxique

L’OTAN est devenue bien plus dangereuse et toxique qu’elle ne l’était au moment de la fin de la guerre froide. En effet, en implantant des bases anti-missiles en Europe de l’Est, l’OTAN a provoqué la rupture du Traité INF d’interdiction des missiles nucléaires de portées intermédiaires, relançant ainsi la course aux armements nucléaires et compromettant le renouvellement en 2021 du traité New Start de réductions des armées nucléaires stratégiques.

L’OTAN a mis maintenant au centre de sa doctrine militaire la guerre préventive, alors que dans le même temps les États-Unis changeaient leur doctrine d’emploi du nucléaire en abaissant le seuil d’utilisation de ces armes aux attaques conventionnelles, voire à des cybers attaques.

Depuis 1996, l’OTAN poursuit une politique systématique d’encerclement de la Russie qui, en multipliant les manœuvres militaires provocatrices dans les Pays baltes et en Pologne, crée avec le Kremlin une situation de tension extrême qui pourrait déboucher sur un casus belli si l’Ukraine et la Géorgie venaient in fine à intégrer l’Alliance atlantique.

Les États-Unis font le forcing pour imposer l’achat de leur avion F35 comme l’engin de combat standard de l’OTAN. Il s’agit avant tout d’un système d’information réseau centré volant connecté directement au Pentagone, qui met sous totale dépendance du bon vouloir des États-Unis les nations acheteuses de cet avion médiocre et ultra coûteux. Adopter le F35 revient à abdiquer toute défense nationale autonome des États-Unis.

La crise entre l’OTAN et Ankara ne porte pas sur l’agression militaire turque contre la Syrie et les Kurdes. L’OTAN ne l’a jamais condamnée. Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, déclarant : « Les préoccupations sécuritaires de la Turquie sont fondées (…) je suis convaincu que la Turquie agira avec modération et de manière proportionnée »6. Le vrai différend entre l’OTAN et la Turquie est l’affirmation de celle-ci comme puissance impérialiste régionale autonome de l’Alliance, avec le développement de son propre complexe militaro-industriel et l’achat de missiles anti-aériens russes S400 qui permettraient une défense indépendante de l’OTAN de l’espace aérien turc et qui a entrainé un embargo de la vente du F35 à Ankara.

L’aventure militaire turque en Syrie n’est qu’une partie de la menace concrète de guerre que représente l’OTAN. C’est pourquoi il est de la responsabilité de la France de créer un choc salvateur pour enrayer cette machine infernale, en sortant non seulement à nouveau du commandement militaire intégré mais aussi de l’OTAN.

Contrairement à ce que racontent les milieux pro-atlantistes, sortir de l’OTAN reste tout à fait possible pour la France sans remettre en cause ses capacités de défense, bien au contraire. Cela impliquerait de reflécher les crédits alloués à l’OTAN et à la base militaire des Émirats arabes unis vers des investissements en avions cargo et ravitailleur, dans la substitution sur nos systèmes d’armes de l’usage du GPS par celui de Galileo, et en accélérant le programme de drone MALE7 européen.

Il est urgent d’ouvrir en France un vrai débat populaire sur ce que doit être une politique de Défense et de sûreté libérée de l’OTAN, assurant la liberté et l’indépendance des peuples dans une Europe et un bassin méditerranéen de la paix et de la sécurité collective.

Yann Le Pollotec, responsable de la commission Défense nationale et Paix du PCF.

 

1. 1949 : États-Unis, Canada, Grande-Bretagne, Belgique, Danemark, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal. 1952 : Grèce, Turquie. 1955 : Allemagne. 1982 : Espagne, 1999 : Hongrie, Pologne, Tchéquie. 2004 : Estonie, Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie. 2009 : Albanie, Croatie. 2017 : Monténégro.

2. Standard de liaison de données tactiques de l’OTAN qui équipe tous les unités et systèmes d’armes de l’OTAN.

3. Le système civil de géolocalisation de l’Union européenne, qui a été mis en place malgré l’opposition.

4. Global Positioning System ou system de positionnement par satellites sous contrôle du Pentagone, mais ouvert aux applications civiles à partir de 1983. Les Russes avec GLONASS et les Chinois avec Beidou ont leur propre système et l’Union européenne malgré les pressions des États-Unis ont maintenant Galiléo mais uniquement restreint pour l’instant au domaine civil.

5. Une disparition du signal GPS sur une zone empêche un état-major de savoir où sont les unités de son armée, et elle rend inutilisables les drones et tous les armements de précision de la bombe guidée aux missiles de croisière.

6. https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2019/10/10/Otan-victime-d-attentats-atroces-les-inquietudes-de-la-turquie-pour-sa-securite-sont-fondees-1285374

7. Medium Altitude Long Endurance, drone d’observation.