Le Niger dans l’œil du cyclone ?

Publié le 23 août 2023

Depuis le 26 juillet 2023, le Niger est au devant de l’actualité internationale. Cette fois-ci, ce ne sont pas les drames humanitaires liés à la sécheresse — phénomène récurrent au cours des cinquante dernières années — qui retiennent l’attention des médias. Encore moins les actions violentes de groupes d’insurgés, de terroristes ou de preneurs d’otages, comme le pays en connaît depuis le début des années 1990. Ce qui a entraîné le branle-bas diplomatique, avec la mobilisation des organisations internationales (Cedeao, Union africaine et ONU) et des puissances internationales telles que la France, les États-Unis, la Russie… est le coup d’État contre le président Mohamed Bazoum, en poste depuis 2021.

La mise à l’écart du président nigérien a été menée par de hauts responsables de la Garde présidentielle. Le Conseil national de sauvegarde de la patrie (CNSP), qui concentre l’essentiel des pouvoirs, est dirigé par le général Abdourahamane Tiani, inamovible commandant de la Garde présidentielle, de 2011 jusqu’à sa prise du pouvoir. Un Premier ministre civil, Ali Mahaman Lamine Zeine, a été nommé par les militaires, le 7 août. Il a formé deux jours plus tard une équipe gouvernementale de vingt membres. Le gouvernement est majoritairement composé de civils. On y compte six militaires qui occupent, sans grande surprise, des ministères régaliens (Défense et Intérieur) et, plus étonnement, d’autres qu’on pourrait qualifier de techniques (Jeunesse et des Sports, Santé, Transports et Environnement). Les civils qui composent le gouvernement viennent des forces de l’opposition au pouvoir de Mohamed Bazoum, notamment le Moden Fa Lumana de Hama Hamadou et de la société civile. Hama Hamadou, ancien président de l’Assemblée nationale et plusieurs fois Premier ministre avait été écarté de la course à la présidentielle de 2020 par la Cour constitutionnelle nigérienne. Celle-ci n’avait pas donné d’explication, mais les observateurs sont unanimes à dire que ce rejet, mais est dû à la condamnation en 2017 dans l’affaire dite de « trafic de bébés volés ».

Une histoire jalonnée de coups d’État

Depuis 1993, Mohamed Bazoum est le quatrième président élu qui est déposé par un coup d’État. Ce coup d’État a été condamné par les organisations sous-régionales, régionale et l’ONU. La France, l’UE et les États-Unis l’ont également condamné avec la plus grande vigueur. À l’instar des forces des nombreuses forces de gauches et des progressistes avec qui il est en lien et en échanges réguliers, le PCF a condamné le coup d’État. Comme, il avait condamné ceux perpétrés au Tchad, en Guinée et au Burkina.

Des sanctions extrêmement sévères et inédites pour certaines ont été prises contre le Niger. La Cedeao a décidé la fermeture des frontières aériennes et terrestres ainsi que la suspension de toutes les transactions commerciales et financières avec le pays, y compris celles portant sur les produits pétroliers, l’électricité, les biens et services. Le président nigerian, Bola Tinubu, porté récemment à la tête de l’organisation avait fixé un ultimatum au 6 août pour un retour à l’ordre constitutionnel, ou la prise par la Cedeao de « toutes les options, y compris militaires ». Même si la menace n’a pas été mise à exécution à la date échue, l’option militaire reste sur la table, selon l’organisation sous-régionale. La France, ancien pays colonisateur, qui compte le Niger parmi ses plus importants fournisseurs d’uranium et qui a redéployé au Niger une bonne partie de son dispositif militaire au Sahel, a suspendu toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire et a procédé à l’évacuation de ses ressortissants. Elle est sur une ligne extrémiste avec un soutien sans nuance aux appels à l’utilisation de la force pour « libérer le président et restaurer la démocratie au Niger ».

Vers une guerre interétatique au Sahel ?

Les États-Unis qui ont 1100 soldats stationnés dans le pays, qui avaient menacé de remettre en cause leur partenariat avec le pays et qui tenaient à l’image de la France un discours très ferme vis-à-vis des putschistes, ont changé de position. Le 19 août, le Secrétaire d’État étasunien, Anthony Blinken, a dit que la préférence des États-Unis va pour une solution négociée pour un retour à l’ordre constitutionnel au Niger. Pour lui, « Il n’y a pas de solution militaire acceptable. » Quelques jours avant, le 14 août 2023, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine rejetait l’usage de la force au Niger. Cette décision du CPS de l’UA est un camouflet historique à la Cedeao, car il est de tradition que l’organisation continentale s’aligne sur les décisions des organisations sous-régionales. ! Au sein de la Cedeao, l’utilisation de la force armée pour libérer le président Bazoum et le restaurer dans ses fonctions n’a jamais été consensuelle. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ont rejeté dès le début cette option. Plus inquiétant, les deux pays cités en premier ont fait savoir que toute action militaire de la Cedeao au Niger sera considérée comme un acte d’agression à leurs égards. Dans le voisinage immédiat, l’Algérie a exprimé son opposition à l’utilisation de la force armée, en raison des conséquences sécuritaires et risques « d’embrasement du Sahel ».

Hommage du vice à la vertu, les deux chefs d’État à la pointe du discours en faveur de l’action militaire au Niger sont le Sénégalais Macky Sall et l’Ivoirien Alassane Dramane Ouattara. L’un et l’autre, piliers de la Françafrique, exercent leurs pouvoirs dans la répression la plus sanglante des actes d’opposition. Alassane Dramane Ouattara, arrivé au pouvoir en 2011 dans les chars français, au terme d’une guerre qui a fait plus de 3000 morts, se maintient à la tête du pays, alors que la Constitution limite à deux le nombre de mandats de cinq ans. Ses opposants sont emprisonnés au moindre prétexte, plusieurs d’entre eux ont été maintenus plusieurs mois en isolement, dans l’obscurité, torturés, violés, etc. Macky Sall qui a déroulé le tapis rouge en janvier dernier à Marine Le Pen a mis dans les geôles sénégalaises plus de 1000 personnes pour l’expression de leurs opinions. Depuis mars 2021, des dizaines de manifestants pacifiques sont tombées sous les balles des forces de répressions sénégalaises.

Un désaveu populaire du bellicisme

De Nairobi à Dakar, d’Alger à Durban et encore moins à Niamey, Zinder, Agadès ou Maradi, nul ne croit que l’expédition militaire de la Cedeao ait un quelconque lien avec l’idée démocratique. Partout s’élèvent des voix pour s’y opposer. Au Niger, la rue se mobilise contre cette éventualité. Les collectifs citoyens hostiles au coup d’État au départ, se sont ralliés aux CNSP à la vue de la coalition qui veut « restaurer la démocratie ». Comme au Burkina et au Mali, les prises de position de la France ont permis aux nouvelles autorités d’élaborer un discours mobilisateur et renforçant leur légitimité. Il est peut-être temps qu’à Paris et en particulier à l’Élysée, que les différentes leçons de ces échecs diplomatiques soient tirées. Le PCF ne cesse de répéter depuis plusieurs années qu’au Sahel dont le Niger est partie intégrante, les problèmes ne pas sont ceux que les autorités françaises croient voir. Pour les communistes, la résolution des problèmes de sécurité, de lutte contre le terrorisme, de crise de l’État et de démocratie une approche multidimensionnelle centrée sur les populations. La légitimité de l’État à promouvoir doit reposer sur sa capacité à créer un cadre propice à l’épanouissement des populations. L’accès aux services sociaux de base est l’une des modalités et pas des moindres qui permet de légitimer les prétentions de l’État à assurer l’ordre et la concorde civile. Aider les pays sahéliens, c’est créer un cadre international qui leur permette de mettre en œuvre des choix de développement endogènes, créateurs d’emploi, valorisant les richesses du sol et du sous-sol au profit des populations, avec de larges programmes sociaux et des services publics accessibles aux populations. Aux côtés des forces de gauche en Afrique, le PCF demeure engagé pour la fermeture des bases militaires françaises en Afrique et l’émancipation politique, économique, monétaire des peuples d’Afrique. Cela implique de mettre fin au franc CFA/ECO, lié à l’euro, en faveur de coopérations monétaires que les peuples souverains des États de la zone choisiront librement.

Félix Atchadé, collectif Afrique du secteur international du PCF