Mali, ou la chronique française d’un désastre annoncé

Droits dans leurs bottes. Depuis 2013 et le début de l’intervention militaire, les gouvernements français successifs n’ont jamais voulu changer d’approche au Mali. D’année en année, les mêmes propos lénifiants et rassurants promettaient des améliorations. Qui évidemment ne sont jamais venues.

Pourquoi alors ne pas avoir écouté les voix, dont celle des parlementaires communistes, qui n’ont eu de cesse d’alerter sur les risques d’enlisement ? Faut-il que la politique étrangère et de défense de l’État français soit à ce point empreinte d’arrogance et de certitudes pour ne jamais se remettre en cause ? De bilan il n’a jamais été question. Et encore tout récemment le président Emmanuel Macron a réfuté le terme d’échec. Qu’est-ce donc alors ? Si en 2013 les salafistes djihadistes et autres entrepreneurs de violence étaient présents sur 10 % du territoire, aujourd’hui près de 90 % sont classés en zone dangereuse. Les « succès militaires tactiques » tant annoncés se sont avérés incapables d’empêcher l’extension de l’insécurité. Pire, comme dans d’autres régions du monde, le dangereux concept de « guerre contre le terrorisme » a produit l’inverse des objectifs annoncés, à savoir une aggravation de la situation, avec des métastases dans plusieurs pays voisins (Burkina, Niger), jusqu’au Golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Bénin).

Le renversement d’Ibrahim Boubacar Keita en juillet 2020 lors d’un putsch aurait pu servir d’ultime alerte pour inciter le gouvernement français à changer de braquet. Non seulement il n’en a rien été, mais c’est une stratégie de la tension et de l’engrenage avec les autorités maliennes qui a été mise en œuvre. La suite est connue. Emmanuel Macron annonce le retrait du territoire malien des moyens militaires français avec un redéploiement et l’extension de la zone d’intervention aux pays voisins. Un départ « coordonné », présenté avec l’appui de pays européens, mais pas concerté avec le Mali puisque le dialogue est rompu.

On se demande bien sur quelles bases ont été prises les décisions. Ce qui n’a pas fonctionné au Mali, peut-il mieux se passer ailleurs ? Que cherche la France en se retirant et en étouffant le Mali par l’appui de sanctions inacceptables qui frappent la population et risquent d’aggraver la situation ? Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a lâché le morceau : il parle de « blocus contre le Mali », instauré sous prétexte d’absence de calendrier électoral de la part des militaires au pouvoir. En réalité, c’est le recours des autorités maliennes à l’État russe et à des mercenaires qui est à l’origine du courroux français. Mais il faut s’interroger sur les raisons qui poussent à ce que des pays se détournent de la France pour se tourner vers d’autres. Et se poser les bonnes questions. Pourquoi aucune des causes économiques, politiques, conflictuelles, qui ont conduit au désastre n’a été traitée ? Pourquoi depuis des décennies l’État français n’a jamais rompu avec un soutien implicite aux mouvements rebelles du Nord du Mali, et dernièrement avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ? Cette politique déséquilibrée, qui se traduit dans l’Accord d’Alger rédigé sans le peuple malien, ne correspond en rien à une aspiration majoritaire. Elle explique en partie la défiance envers l’État français. La dégradation de l’image de la France en Afrique de l’Ouest n’est pas, loin de là, uniquement le fait d’activistes « financés par la Russie » comme le dit M. Macron. C’est bien plus profond que ça et il faut s’interroger sur les causes véritables.

Le logiciel de la présence française en Afrique doit être revu, tout comme nos déploiements militaires dans le monde, comme le propose le candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel. Un retrait concerté de nos troupes du Sahel devrait aller de pair avec un soutien à leurs armées, accompagné d’un transfert de technologie efficace, ainsi que d’un nouvel agenda politique, économique et de sécurité pour le Mali et la région. Après des années d’affaiblissement des États imposé par le FMI avec des politiques libérales destructrices, il convient de mener une politique de coopération qui vise à sécuriser les vies humaines d’un point de vue économique, social et environnemental, y compris par la mobilisation des ressources internes.

L’intérêt de la France au Mali, c’est de permettre à ce pays de sortir de l’impasse, de gagner la paix, de pouvoir exercer concrètement sa souveraineté et faire ses propres choix de développement.

Dominique Josse
responsable du collectif Afrique du PCF
membre de la Commission des relations internationales