Sommet des BRICS : dynamiques et contradictions

Publié le 06 septembre 2023

Le 15e sommet des BRICS qui s’est réuni à Johannesburg du 22 au 24 août fut un évènement de portée mondiale, bien davantage que les précédents. Non seulement parce qu’il bénéficia d’une large couverture médiatique, mais surtout parce que la phase de recomposition des rapports de domination mondiaux fait des BRICS la caisse de résonnance de la contestation de l’ordre du monde libéral issu des accords de Bretton Woods et de l’hégémonie unilatérale du dollar. Il manifeste une nouvelle donne internationale qui se cherche.

La part des BRICS dans le PIB mondial, calculée en parité de pouvoir d’achat, dépasse désormais celle du G7 (32 % contre 30 %). Cela cache cependant d’importantes disparités : la Chine en compte à elle seule 17,6 % et le second, l’Inde, est loin derrière avec 7 %. Signe de cette force d’attraction, 71 pays y ont participé au total, comme observateurs ou comme membres.

Les BRICS se sont formés dans les remous de la crise systémique du capitalisme de 2008. Ils ont en grande partie échappé à la vision du monde occidentale. Il est d’ailleurs révélateur qu’Emmanuel Macron, dans son discours au corps diplomatique le 29 août, ne les évoque qu’au détour d’une phrase au bout d’une heure de discours. Les BRICS offrent un cadre d’échange souple à ses membres, autour de sommets annuels des chefs d’État et de réunions au niveau ministériel. Ils ont également créé un cadre de coopération financière, qui reste cependant dépourvu de structure permanente. La seule institution commune est la Nouvelle Banque de développement, créée en 2014, siégeant à Shanghai et aujourd’hui présidée par Dilma Rousseff. Elle est ouverte aux demandes d’investissement des pays en développement. Le renforcement des BRICS n’est pas linéaire. Les évolutions à droite du Brésil et de l’Inde ainsi que les différences de positionnement de ses membres dans la rivalité entre la Chine et les États-Unis l’ont ralenti. La relance des BRICS est alimentée par la conjonction de trois évènements : la pandémie mondiale (souvenons-nous du refus des puissances occidentales de lever les brevets sur les vaccins !), le retour de Lula au pouvoir, puis la guerre en Ukraine. La politique occidentale est épinglée pour son « deux poids, deux mesures », alors qu’elle a manifesté un désintérêt total pour les guerres meurtrières qui ont ensanglanté le Yémen, que l’ONU qualifie de « crise humanitaire du siècle », et l’Ethiopie.

Le sommet de Johannesburg a entériné un élargissement significatif des BRICS, à six nouveaux pays : Iran, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Éthiopie et Argentine. Deux grands États pétroliers y entrent, sur fond de rapprochement spectaculaire entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sous l’égide de la Chine, ce qui change la donne au Moyen-Orient. Les BRICS élargis représenteront, à compter du 1er janvier 2024, 46 % de la population et 36 % du PIB mondial (dont 70 % par la Chine). Par ailleurs, l’adhésion de l’Arabie Saoudite et des Émirats permettra sans doute de renflouer la banque des BRICS. Cependant, le sommet a buté sur la question du renforcement de la coopération monétaire. La perspective de se dégager du dollar en utilisant les monnaies nationales devrait à terme déboucher sur une monnaie commune d’échange. Les banques centrales doivent préparer un rapport sur le sujet d’ici le prochain sommet.

Quelle analyse peut-on porter sur cette dynamique ? Incontestablement, les BRICS élargis représentent de nouvelles coopérations qui se cherchent en s’autonomisant des institutions de Bretton Woods et de certaines évolutions de la mondialisation capitaliste, qui a perdu sa dynamique, et à laquelle les États-Unis et les États du G7 veulent donner un aspect politique de plus en plus affirmé. C’est la « mondialisation entre amis » chère à la secrétaire au Trésor des États-Unis Janet Yellen. Dire cela ne revient pas à porter au pinacle un certain nombre d’États des BRICS dont les gouvernements ne sont ni démocratiques, ni anticapitalistes et encore moins des « modèles » de quoi que ce soit. Mais les BRICS, dans leur dynamique d’ensemble, manifestent un monde non occidental, ce qui ne signifie pas nécessairement « anti-occidental », souhaitant agir en faveur de relations internationales « plus équilibrées », comme l’analyse le président sud-africain Cyril Ramaphosa.

Cependant, les contradictions internes sont nombreuses. La recomposition de l’ordre du monde et l’affirmation de nouvelles puissances génèrent des tensions fortes entre membres des BRICS, entre la Chine et l’Inde par exemple. Le positionnement des différents États dans cette recomposition mondiale n’est d’ailleurs pas le même. Autant pour l’Afrique du Sud ou le Brésil il s’agit de ne pas se laisser entraîner dans une compétition entre puissances mondiales, autant le gouvernement russe théorise un affrontement de longue durée avec l’Occident « et ses valeurs », sur une base par ailleurs réactionnaire. Nous verrons comment ces contradictions seront gérées lors du prochain sommet, en 2024, qui est annoncé à Kazan, en Russie. Les BRICS ne sont donc ni une alliance, ni un bloc mais un regroupement de pays dont les diplomaties sont souvent multi-vectorielles.

Par ailleurs, le G7, sous hégémonie étatsunienne, garde une cohérence et une force de frappe qui demeure plus forte que celle des BRICS. La dédollarisation est un processus long. L’hégémonie du dollar est contestée, affaiblie, mais elle n’est pas encore renversée. Le dollar reste dominant, en représentant la moitié du commerce mondial, 90 % des transactions quotidiennes sur le marché des changes et 60 % des réserves de change mondiales. Le renminbi a certes progressé depuis 20 ans, mais il ne représente pour l’instant que 7 % des transactions sur le marché des changes.

Il n’en demeure pas moins que le sommet des BRICS manifeste une aspiration à construire autre chose, un monde plus équilibré dans lequel le dollar et les États-Unis ne font plus la pluie et le beau temps. Notons d’ailleurs qu’à la différence de Washington, relativement prudent dans ses réactions, Emmanuel Macron a eu une réaction très vive, défensive, fustigeant les « velléités d’ordre alternatif ».

Tous ces éléments amènent à renforcer l’exigence de construction d’un autre ordre du monde, de peuples souverains et associés, fondé sur la paix et la coopération. Les propositions du PCF sur la paix, formulées par Fabien Roussel dans sa tribune dans le Monde du 17 juillet, ou de constitution d’une monnaie commune mondiale, sur des bases non pas de compétition mais de coopération, en utilisant les droits de tirage du FMI et plus largement de réforme du FMI et de l’ONU, sont une base d’initiatives politiques.