3e mandat en Côte d'Ivoire et en Guinée : au-delà des similitudes, des contextes bien différents

La Guinée et la Côte d'Ivoire, pays victimes des plans d'ajustement structurels depuis des décennies, sont concernés par des scrutins dans lesquels des chefs d’État âgés respectivement de 78 et 82 ans se présentent à un 3e mandat.

Rappelons tout d'abord quelques éléments d'histoire. En 1950, la féroce répression par les autorités coloniales du mouvement démocratique amène Félix Houphouët-Boigny à rompre avec le PCF. Il met alors son mouvement, le PDCI-RDA, au service des intérêts coloniaux. Après les indépendances, la Côte d'Ivoire est devenue le vaisseau amiral de la Françafrique jusqu'à l'élection de Laurent Gbagbo en 2000. Ce dernier a voulu renégocier certains aspects des relations avec l'ancienne puissance coloniale, ce que Paris lui a fait payer très cher. Une décennie de déstabilisation économique et militaire s'est soldée par l'installation par les chars français d'Alassane Ouattara en 2011. Une fois au pouvoir, ce dernier va amplifier la répression politique et mettre sous sa coupe les institutions, ce que la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples dénoncera à plusieurs reprises. Il fera aussi campagne en 2016 pour une nouvelle constitution dont les dispositions renforcent encore le caractère personnel du pouvoir. Afin de faire passer la «pilule» y compris et surtout auprès de ses alliés d'alors du PDCI, il introduit l'impossibilité de se présenter à un 3e mandat. Un référendum boycotté par l'opposition et avec un taux de participation ridicule marquera le point d'orgue de la manœuvre. Mais après la mort de son premier ministre qu'il avait «désigné» comme successeur, il fait machine arrière en se portant candidat pour un 3e mandat. Cela consacrera son total isolement politique. Le scrutin de ce samedi 31 octobre où les principales figures de l'opposition sont écartées, s'annonce comme une mascarade électorale. Hier autocrate, M. Ouattara qui promet une répression encore plus féroce, entre officiellement dans le cercle des dictateurs, avec le soutien complice des autorités françaises. Une situation telle que la société civile et l'opposition appellent d'ores et déjà à la «désobéissance civile».

Le peuple guinéen a quant à lui choisi l'indépendance dès 1958 à une écrasante majorité. Il s'est exposé alors à la vengeance de la puissance coloniale, avec des conséquences terribles notamment sur sa vie économique. La Guinée a connu, jusqu'à l'élection d'Alpha Condé le 21 décembre 2010, des régimes autoritaires, incapables de relever les défis sociaux et économiques et dont les forces armées n'ont eu de cesse de brutaliser les populations. Force est de constater que depuis sa venue au pouvoir, Alpha Condé n'a pas marqué de progrès décisif quant à ce dernier aspect. Les brutalités des «corps habillés» envers les civils, que le PCF condamne, s'inscrit dans cette triste continuité historique. Le paradoxe étant que c'est cette même armée qui défend le plus farouchement l'indépendance du pays. Les pouvoirs en place, y compris celui d'Alpha Condé, doivent en tenir compte. Après la pandémie d'Ebola qui porta un coup très dur au pays en 2014, la Guinée engrangera des réels progrès industriels et économiques mais qui ne bénéficie pas suffisamment à la population et ne sont pas encore de nature à inverser la structuration extravertie de l'économie. Par ailleurs l'opposition de droite à Alpha Condé, dont Cellou Diallo - ancien partisan de la présidence à vie de Lansana Conté - est l'incarnation, veut réintégrer complètement la Françafrique, y compris le franc CFA, ce qu'Alpha Condé se refuse de faire malgré d'immenses pressions extérieures.

En mars dernier une nouvelle constitution consacrant la possibilité d'un 3e mandat a été soumise à un référendum. Boycottée par l'opposition, elle est adoptée à un taux relativement faible. Mais elle contient également des avancées, comme la parité homme-femme, l'abolition de la peine de mort ou l'interdiction du mariage forcé. L'adoption si tardive de cette constitution ne pouvait que susciter des remous et constitue une faute politique. Par ailleurs, au lieu de créer les conditions d'un «passage de relais», Alpha Condé utilise la possibilité légale d'un 3e mandat au risque de renforcer les tensions qui existent dans le pays. A la différence de la Côte d'Ivoire, le principal candidat d'opposition n'a pas été écarté. Ce dernier a recueilli 33% des voix face à Alpha Condé qui remporterait l'élection du 18 octobre en revendiquant 59%. Ces résultats contestés par l'opposition, ont été validés par la Commission électorale nationale indépendante. Cette dernière compte près de la moitié d'opposants ainsi que des représentants de la société civile. Elle n'est donc pas comme en Côte d'Ivoire complètement sous la coupe du pouvoir.

La France officielle qui a été tentée de faire tomber Alpha Condé au bénéfice d'un homme qui lui serait plus favorable, s'est résolue jusqu'ici à se taire à cause de son soutien sans faille au 3e mandat de Ouattara.

Collectif Afrique du PCF