« Santé, le jour d’après »

« Parler du jour d’après » en matière de politique de santé ouvre sur le projet d’une autre société. Au sortir de cette crise, rien ne sera plus comme avant, mais, si les peuples ne s’en mêlent pas, il n’y a aucune automaticité à ce que ce soit pour le meilleur. Les capitalistes veillent, s’adaptent et sont loin de vouloir lâcher leurs privilèges. En France, il n’y a qu’à entendre les déclarations d’un certain nombre de ministres pour en avoir confirmation !

Quant aux envolées du Président de la République sur les « héros en blouse blanche », il est à craindre qu’elles ne soient suivies d’aucun effet. Les mesures d’urgence contre le Covid-19 en sont une claire démonstration, l’argent annoncé pour répondre à la crise sanitaire n’est rien comparé à celui débloqué pour sauver les grands groupes. Deux poids, deux mesures !

Pourtant, le coronavirus révèle bel et bien l’absurdité et la dangerosité des politiques étatiques et austéritaires menées, dans le domaine de la santé, depuis les ordonnances Juppé. Et cette course aux restrictions budgétaires n’a fait que s’accélérer.

En 2004, la loi Bachelot introduit la tarification à l’activité (T2A) à l’hôpital mettant en concurrence cliniques privées et hôpitaux publics ! En vingt ans, 100 000 lits ont été fermés et en dix ans, ce sont 7 milliards d’euros qui ont été ponctionnés sur le dos des hôpitaux publics.

Les gouvernements successifs se sont éloignés de la conception de notre système de protection sociale solidaire et universelle pour considérer la santé comme une marchandise. L’hôpital devenait alors une entreprise avec, à sa tête, des technocrates obnubilés par la règle à calcul. Toutes les alertes lancées par les personnels, certaines forces syndicales et politiques ont été ignorées, voire moquées. Et de budget de la Sécurité sociale en budget de la Sécurité sociale, notre service public de santé a été mis à genoux.

« Tous les spécialistes en conviennent : le confinement total est le prix du manque de moyens, notamment à l’hôpital, dû à l’incurie des gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans. » (1)

Les mêmes politiques ayant été appliquées à l’échelle du monde, les conséquences de ces choix néo-libéraux sont identiques partout. Comment oublier que la Commission européenne ait demandé 63 fois, de 2011 à 2018, aux États membres de réduire leurs dépenses publiques en matière de santé ? Comment accepter le silence aujourd’hui de l’UE, incapable d’apporter une réponse de solidarité, laissant chaque pays s’enfermer à l’intérieur de ses frontières, se livrant à une concurrence impitoyable pour obtenir le matériel indispensable à sauver des vies ?

Alors « le jour d’après », c’est maintenant qu’il se réfléchit.

Les propositions sont nombreuses, les expert·e·s que sont les personnels les ont déjà soumises depuis plus d’un an au gouvernement, via leurs syndicats, leurs collectifs. Nous avons, nous les parlementaires communistes, présenté une proposition de loi sur des « Mesures d’urgence pour la santé et l’hôpital » après notre tour de France des hôpitaux et des Ehpad. Toutes ces propositions dessinent un autre projet de société qui place l’humain au cœur des politiques de santé et qu’il faut imposer maintenant !

Pour y parvenir, les décisions ne peuvent pas être prises par un exécutif aux ordres de la finance. Il faut que la démocratie s’exerce à tous les niveaux en conférant des pouvoirs à celles et ceux qui travaillent dans les hôpitaux, les maternités, les Ehpad, les centres de santé, les cabinets de ville… Le budget de la Sécurité sociale ne doit plus être voté par la représentation parlementaire mais revenir, comme lors de sa création en 1945, dans le giron des partenaires sociaux et doit reposer sur les cotisations patronales et salariales. L’objectif doit être la prise en charge des soins à 100 % par la Sécu.

Mais il faut, en urgence, un plan massif d’investissements pour la santé et les hôpitaux à hauteur de 10 milliards d’euros pour embaucher, former les équipes, augmenter les salaires et rouvrir les lits qui ont été fermés ! Un moratoire sur les fermetures d’établissements et de services doit être voté, comme le stipule l’une de nos propositions de loi présentée, dès 2014, et rejetée par le Sénat. Pour réduire les déserts médicaux, des centres de santé doivent être ouverts sur l’ensemble du territoire. Un véritable partenariat médecine hospitalière et médecine de ville doit être encouragé afin de développer une politique de prévention et d’éducation à la santé.

La crise vécue dans les Ehpad, le mouvement des personnels, bien en amont, pour dénoncer l’indignité infligée à bon nombre de résident·e·s au nom de la rentabilité, doivent contraindre la société à repenser l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie en répondant d’abord à leurs besoins quels que soient leur situation ou leur âge. On l’a vu, cette pandémie a révélé de grandes tensions sur les matériels de protection mais également les médicaments. Il est regrettable que le Conseil d’État ait rejeté les référés d’associations qui demandaient la « réquisition des moyens de production » pour y faire face.

Il est inacceptable que la France, 6e puissance économique mondiale, ne soit pas en capacité de produire ses propres médicaments et que les grands groupes pharmaceutiques utilisent les pays, en voie de développement, pour se faire un maximum de profits ! Plus généralement, il est impératif de sécuriser à nouveau l’approvisionnement des biens nécessaires à nos besoins vitaux par des filières publiques. D’où notre proposition de mettre en place un pôle public du médicament et de la recherche au plan national et européen. Dans l’immédiat, nous proposons de nous appuyer sur les pharmacies centrales de l’AP-HP et du service des armées pour assurer une production nationale, en leur donnant les moyens financiers et humains indispensables.

Toutes ces mesures sont immédiatement finançables, à condition d’en avoir la volonté politique : fin des exonérations patronales et des allègements sociaux, lutte contre l’évasion fiscale, fin du Crédit impôt recherche (CIR), rétablissement de l’ISF !

Nos sociétés viennent d’être ébranlées, nos vies quotidiennes sont bouleversées, le monde entier est à l’arrêt, tout autant qu’il est en ébullition. Profitons de ce moment inédit pour, dès à présent, travailler à la société de demain, avec toutes celles et tous ceux qui aspirent à une nouvelle humanité.

Laurence Cohen, sénatrice, membre du CN.

 

1. André Grimaldi et Frédéric Pierru, « L’hôpital, le jour d’après », Le Monde diplomatique, avril 2020.