Bobigny : Aide aux devoirs

La crise du Coronavirus est un révélateur en accéléré de la fracture sociale qui traverse la France. Ceci est d’autant plus vrai en Seine-Saint-Denis, département déjà délaissé de longue date par les pouvoirs publics et objet de stigmatisations récurrentes (comme le rappelle notamment le récent petit livre de Patrick Le Hyaric : La Banlieue porte plainte).

Aujourd’hui, le 93 est également le quatrième département français le plus touché par le virus. Ce triste score n’est pas une fatalité : les salarié·e·s du département, souvent pauvres, occupent la plupart du temps des emplois précaires et non télétravaillables. Voici donc une population particulièrement exposée et qui a de plus mal bénéficié des mesures mises en place : beaucoup, victimes du travail à temps partiel ou contraint·e·s au travail au noir, n’ont pu accéder au chômage partiel.

C’est dans ce contexte qu’à Bobigny, dès le début du confinement, les communistes et des citoyen·ne·s apparenté·e·s ont créé le collectif « Boboch solidaire Covid-19 ». Notre action s’est d’abord concentrée sur la distribution alimentaire, jugée prioritaire. Un constat était très vite remonté du terrain : de nombreuses familles et personnes isolées, dans ce contexte de crise, se retrouvaient en rupture alimentaire. Nous distribuons encore aujourd’hui 1 200 repas par semaine…

Pour les devoirs, tout commence le 1er avril : une étudiante vient toquer à la porte de la section du PCF et nous demande si elle peut imprimer son dossier de bourse. Elle n’a pas d’imprimante chez elle et doit respecter les délais. J’y vois un signal. Des familles entières de la ville sont sans doute dans ce cas. Nous décidons donc de poster le jour même une publication sur la page Facebook du collectif. Nous y invitons les familles qui en ont besoin à nous transmettre par mail les devoirs de leurs enfants et nous nous engageons à les imprimer et à leur livrer rapidement dans leur boîte aux lettres. Dès le lendemain, notre messagerie est inondée de mails : des familles, des étudiant·e·s isolé·e·s, des enseignant·e·s souhaitant relayer notre offre de soutien auprès d’autres familles qu’elles savent dans ce cas.

En un mois, nous gérons l’impression et la livraison des devoirs de plus d’une centaine d’élèves et étudiant·e·s. Des publics, du primaire à l’université, dont une partie est logée en hébergement d’urgence dans les hôtels de la ville.

Pour une part de la population de Bobigny, le seul lien possible avec Internet passe par un smartphone et il est impossible aux enfants d’effectuer leurs devoirs sur un téléphone. Et nous constatons que lorsqu’il y a un ordinateur, c’est souvent un seul pour une famille nombreuse, et que cette famille ne dispose pas d’imprimante. L’accès à ce type d’équipement est rendu encore plus difficile par le coût des consommables.

J.-M. Blanquer estimait fin avril le taux de décrochage scolaire à 7 ou 8 %. Dans une ville comme la nôtre, ce taux peut être multiplié par trois ou quatre. Depuis début avril, certaines familles nous ont transmis l’ensemble des devoirs que leurs enfants n’avaient pas pu réaliser depuis le 17 mars, début du confinement ! Nous sommes également devenus, grâce aux livraisons dans les hôtels de la ville, le seul lien supplétif entre ces familles « déconnectées » et des enseignants qui n’arrivent plus à les joindre…

L’inégalité territoriale scolaire est flagrante. Dans nos villes populaires, les foyers souffrent d’un manque alarmant d’équipements informatiques. Il est de la responsabilité de l’État de lutter contre cette fracture numérique : une ville comme Bobigny n’a pas les moyens de doter ses habitants d’ordinateurs, contrairement à d’autres plus riches, comme récemment Antony (92).

On doit inscrire comme droit fondamental que chaque enfant, dès son entrée en primaire, puisse recevoir une tablette numérique et bénéficier d’une connexion internet chez lui. Cela ne peut passer que par une volonté politique forte et l’application, entre autres, d’un tarif social pour l’accès des foyers modestes à Internet, ce qui pourrait devenir dans le monde d’après une des revendications du PCF. A ce jour, notre collectif a effectué plus de deux cents livraisons de devoirs imprimés et assure la prise en charge de plus de cent vingt familles dans le cadre de cette aide.

Le constat est affligeant : la continuité du service public de l’éducation n’est pas à l’ordre du jour dans notre ville ni dans notre département. Les inégalités, déjà criantes, se sont accrues au cours de cette crise sanitaire et sociale.

Mohamed Aissani, secrétaire de section, PCF Bobigny.