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L'Organisation des Nations unies (ONU) a annoncé, jeudi 1er décembre, qu'elle avait besoin d'urgence de 51,5 milliards de dollars pour venir en aide, en 2023, à 230 millions des personnes les plus vulnérables dans près de 70 pays. Pour plus de 17 millions de Yéménites, ce sont 4,3 milliards de dollars qui manquent, dès aujourd'hui, pour lutter contre les maladies et la famine face à l'effondrement de l'économie et des infrastructures publiques dans ce pays en guerre depuis 7 ans.

Martin Griffiths, responsable des secours d'urgence de l'ONU, a ainsi résumé les enjeux : « Je crains que 2023 ne connaisse une accélération de toutes ces tendances et c'est pourquoi nous espérons que 2023 sera une année de solidarité, tout comme 2022 a été une année de souffrance. » Un appel à la solidarité internationale, maintes fois lancé par le secrétaire général de l'ONU lui-même sans qu'aucune grande puissance n'ait à ce jour engagé de changements stratégiques majeurs.

La situation désastreuse que traverse l'humanité est créée par la conjonction de la pandémie de Covid 19, la guerre en Ukraine et la crise climatique, venues s'ajouter à une crise structurelle de système qui accroît de façon exponentielle les inégalités régionales et dans chaque pays. Ces trois crises ont toutes pour origine des décisions politiques qui ont toujours placé les intérêts humains, sociaux, démocratiques et écologiques bien en-deçà des intérêts du capital et des velléités de domination. Elles sont toutes trois les manifestations patentes de l'ère « capitalocène » qui est la nôtre – et telle que Lucien Sève l'a mise en lumière –, en même temps qu'elles en perpétuent les logiques.

Le choix fait, au même moment, par les pays membres de l'OTAN d'amplifier encore les livraisons d'armes à l'Ukraine (l'Allemagne engageant, c'est historique, 100 milliards d'euros dans sa défense) confirme évidemment que les moyens existent, que des masses d'argent sont disponibles, mais qu'elles ne serviront pas la cause de la paix, bien au contraire. L'obsession à vouloir imposer un rapport de force sur le terrain militaire – alors même que les cas afghan et syrien, notamment, montrent à quel point c'est illusoire et « contre-productif » – prend le pas sur les priorités qui devraient être celles des dirigeant•e•s actuel•le•s.

Lorsque Emmanuel Macron choisit ces mêmes jours pour effectuer une visite officielle aux États-Unis, il y va comme au Moyen Âge les vassaux allaient rendre hommage à leur suzerain. Pas n'importe lequel de ses vassaux puisqu'il s'agit de la première visite d'État reçue par l'administration Biden depuis sa mise en place. Mais tandis que le président français se déplace pour y vanter une relation qu'il qualifie, sourire aux lèvres, « de frères d'armes », rien chez Joe Biden n'indique la volonté d'un lien privilégié entre les deux pays d'autant que les rivalités économiques entre eux sont particulièrement vives. L'annonce du plan Biden, Inflation Reduction Act, d'un montant de 370 milliards de dollars destiné à « soutenir le verdissement de l'économie américaine », fait craindre aux dirigeants néo-libéraux européens un recul des investissements nord-américains en Europe et, « frères » ou pas, le chef de l'État est reparti comme il était venu. Dans un contexte exacerbé de tensions, les « alliés » jouent simultanément de la surmilitarisation des enjeux internationaux – renforçant une dépendance stratégique (européenne, pour ce qui nous concerne) aux visées hégémoniques étatsuniennes – et d'intérêts économiques rivaux et antagonistes – aussi « nationaux » que contraires aux intérêts des travailleurs de leur nation qui, partout, paient les crises sans que la domination du capital ne soit remise en cause.

Nul, dès lors, ne tient le langage de la paix. Les mêmes peuvent toujours soutenir la courageuse et formidable mobilisation iranienne – cela fait plus de dix ans sans doute que les Iraniennes et Iraniens, pour partie, se soulèvent ; ils (les observateurs occidentaux) en attendent au moins un plus grand isolement régional de l'Iran, au mieux un changement de régime (politique et non économique : le capital est roi en Iran) mais certainement pas un exemple historique de processus d'émancipation, un signal d'espoir pour les peuples du Proche-Orient et du Maghreb en particulier, et pour nous tous et toutes.

La paix, son idée même, est taboue. Les plus forcenés à infliger une défaite militaire à la Russie refusent même que la question ne soit posée ne serait-ce que pour s'interroger sur les limites de la stratégie occidentale. La guerre en Ukraine est déjà un échec pour Vladimir Poutine. L'OTAN, pour sa part, lui doit de l'avoir remise en selle en Europe. Cette guerre – moins qu'un « retour à la guerre froide » – est surtout la première guerre mondialisée du fait du niveau des interdépendances tricotées par la mondialisation sous domination capitaliste, nul n'échappe à ses répercussions. Jusqu'où les puissances occidentales en perte de vitesse peuvent-elles aller dans l'option militaire sans que leurs opinions publiques, les forces vives des nations qui les composent, ne se dressent contre leur fuite en avant dans l'économie de guerre ? À nous, sans doute, de contribuer à cette levée, à l'incursion du mouvement populaire pour ouvrir une perspective de sécurité humaine et collective globale, jeter les bases d'une « grande paix humaine ».

Lydia Samarbakhsh
responsable des relations internationales du PCF