Carnets rouges n° 29, mai 2023 – Devenir et rester enseignant ?

Le dernier numéro de Carnets rouges s’attache à interroger les très lourdes menaces qui pèsent sur le système éducatif, afin que cette question devienne l’affaire de tous. En effet, la politique néolibérale et réactionnaire menée à marche forcée met gravement en danger le système public d’éducation et avec lui la société en devenir.

En témoignent la raréfaction des candidatures pour devenir enseignant, l’augmentation des démissions et l’accroissement du nombre de ceux qui disent rester « faute de mieux ». Le métier, dans toute sa complexité, se heurte à l’impossibilité grandissante de l’exercer : jamais consultés, méprisés, les enseignants sont de plus en plus soumis à des injonctions contradictoires, qui plus est hors sol, dont ils savent qu’elles ne peuvent que provoquer le creusement des écarts entre élèves en fonction de leurs origines socio-culturelles. « Ce que l’on exige de nous n’a pas de sens ». Effectivement, l’enseignement est antinomique avec l’exécution de tâches, sauf à mettre en cause les finalités assignées à l’école, et donc les valeurs qui conduisent à faire le choix de ce métier et à pouvoir l’exercer.

La voie est désormais largement ouverte à la contractualisation. Les jeunes recrutés sans formation mais sur leur « qualités personnelles » vivent douloureusement leur entrée dans le système, car ils n’ont aucun outil pour le faire, qu’il soit théorique, didactique ou pédagogique. Dans un tel contexte, quel avenir du statut d’enseignant, en tant que fonctionnaire, tel que défini par la loi Le Pors de 1983 ? Comment exercer une liberté pédagogique constitutive de l’exercice du métier et garantie par la loi Fillon de 2005 ? Les contractuels n’auront d’autre choix que de se soumettre aux exigences du néolibéralisme (mais jusqu’où ?), non pour exercer un métier mais pour garder un emploi.

La transformation de la culture professionnelle, déjà à l’œuvre avec une formation exsangue, signe le choix des inégalités contre la démocratisation du système scolaire. Les « fondamentaux » comme « les bonnes pratiques », chers au précédent ministre et repris par le nouveau, marquent le rejet d’une culture commune. Le choix du « terrain » contre une formation universitaire, les attaques honteuses contre les travaux en sociologie et en sciences de l’éducation (pourtant convergents), la quasi-disparition de la didactique, sont autant de marqueurs idéologiques qui dénient le travail et la professionnalité des enseignants. Le credo néo-libéral assigne les enseignants à opérer le tri social dans une école parmi les plus ségrégatives en Europe, et non plus à être les passeurs de savoirs que requiert une démocratie. Il ne s’agit plus de former des citoyens et des travailleurs critiques mais, dans une logique de mise en marché de l’éducation, de faire un pas de plus, et pas des moindres, dans une société hiérarchisée.

C’est un enjeu de société dont il est urgent de s’emparer collectivement pour éviter le pire. C’est possible, cela se fait déjà. Mais il faut en décider.

Christine Passerieux

rédactrice en chef de Carnets rouges