[CN] Enjeux migratoires - Intervention de Cécile Dumas

Intervention de Cécile Dumas à l'occasion du Conseil national du 7 novembre 2020.

Il est clair que nous vivons une période compliquée, une période difficile, anxiogène, où les faits d’actualité défilent à grande vitesse. Et l’isolement ou la seule possibilité de ne se parler que par intermédiaire d’écrans ne facilitent ni la réflexion, ni le débat, ni l’argumentation, ni la communication entre les communistes ou avec la population.

Mais le Parti communiste français ne peut pas se résoudre à subir l’information et surtout à subir les amalgames réactionnaires, simplistes, dangereux entre migration, terrorisme et religion.
Nous ne pouvons pas, en tant que communistes, nous habituer au vocabulaire de l’extrême droite, de la droite ou d’un Manuel Valls pour débattre de ces sujets.

Il est intolérable de laisser croire ou de laisser dire que l’immigration serait un « problème à régler » ou « une anomalie à résoudre » ou « un problème de sécurité » que l’on réglerait en multipliant par 2 le nombre de policiers chargés de la surveillance des frontières, comme l’a annoncé Macron cette semaine.

Nous devons mener la bataille idéologique sur ces thèmes, sur les questions migratoires comme sur les autres sujets en revenant à la réalité des faits : là où leurs paroles sont fondées sur la peur-panique, nous devons réintroduire du raisonnement politique, des principes politiques, des propositions politiques.

Par exemple, avant la pandémie, la droite, l’extrême droite, LREM expliquaient que les réfugiés, les demandeurs d’asile et les sans-papiers mettaient en péril le système de santé et faisaient peser un poids trop lourd sur les capacités d’accueil des hôpitaux. On voit aujourd’hui que le péril de notre système de santé est essentiellement dû non au modeste 0,5% d’AME dans les dépenses de santé mais bien à leurs politiques d’austérité, au manque de recrutement et de formation de nouveaux personnels…

Des pays confrontés à la même situation font un autre choix : le Portugal, en l’occurrence, qui a la lucidité de régulariser (même si c’est seulement « temporairement » dans un premier temps) les sans-papiers de leur pays pour leur permettre d’accéder aux soins et d’éviter une plus grande propagation de l’épidémie. C’est une décision responsable et humaine.

C’est pourquoi pour la France, nous devons continuer de dire d’une seule et même voix que nous voulons régulariser tous les sans-papiers vivant sur notre territoire pour qu’ils puissent accéder à des droits, notamment ceux à la santé, au logement ou au travail. Comment accepter que ceux qui, pour beaucoup des intérimaires, ont ramassé les déchets ou nettoyé les bureaux, le métro ou les bus, livré les repas ou les biens achetés sur Internet soient indispensables pendant le confinement et invisibles le reste du temps parce qu’ils n’ont pas de papiers.

Nous ne sommes pas désarmés devant la situation, cela aussi est faux. Nous avons à notre actif un gros travail collectif, publié sous forme de Manifeste en avril 2018, qui démonte, par exemple, l’idée simpliste que renforcer la sécurité aux frontières réduit les entrées dans notre pays, alors que le taux migratoire (différence entre entrées et sorties) est stable en France depuis vingt ou trente ans. En revanche, construire des murs et reconduire aux frontières des gens qui n’ont rien fait de mal et qui se trouvent piégés par nos propres réglementations sur l’immigration coûte beaucoup d’argent et permet aux passeurs de s’enrichir considérablement.

De la même manière, il faut combattre l’idée qu’augmenter l’aide au développement dans un pays réduit les migrations, c’est faux. Toutes les études le disent, le développement favorise les migrations. Tout comme ce ne sont pas les plus pauvres qui se déplacent car migrer coûte cher : aujourd’hui, les migrants qui cherchent à venir à leur risque et péril en Europe ne sont pas les moins formés ni les plus pauvres, ce ne sont pas des familles nombreuses. Leur projet n’est pas toujours de s’installer définitivement en Europe, ils sont attachés à leur pays et à la famille qu’ils ont laissée derrière eux et qui compte sur leur solidarité ; enfin, non, ils ne réclament pas toujours la nationalité française, même si leur vision de la France est souvent celle du pays des droits de l’homme, vision qui s’estompe une fois qu’ils sont parvenus dans les « jungles » ou autres camps de rétention, s’ils ont survécu jusque-là.

ui, nous devons démonter tous les mensonges et porter aujourd’hui comme décision politique désormais incontournable l’exigence de la légalisation de voies sécurisées de migration pour éviter les drames en Méditerranée ou en mer du Nord ou des réseaux terroristes et permettre un accueil digne aux personnes à la recherche d’une nouvelle vie. Légaliser et sécuriser les voies de migration (libérer les accès aux visas) permet par le respect du droit à la circulation de réduire une part des inégalités, y compris celles générées par le lieu de naissance.

Le passeport français est classé 6e parmi ceux qui permettent de voyager dans 186 pays et territoire sans visa. A l’inverse, les passeports afghan, irakien, syrien, pakistanais, somali ou yéménite ne donnent accès qu’à 35 pays sans visa. Inégalité flagrante dont nous refusons d’être les complices.

L’enjeu immédiat — au plus fort d’une bataille idéologique féroce — est de déployer notre argumentaire et nos actions pour empêcher que des pans entiers de notre peuple ne tombent dans le panneau des réactionnaires, en imposant dans le débat l’exigence de l’ouverture de voies légales et sécurisées de migration et d’une solidarité européenne entre pays européens et entre eux et le reste du monde.

Sachons être ambitieux dans cette bataille, rigoureux dans nos expressions, porteurs de nos propositions sans jamais laisser s’instaurer de doutes sur les liens de cause à effets entre religion (musulmane) et migration ou entre terrorisme (islamiste) et migration issue de pays arabes ou musulmans.

Pour y travailler, je demande que dans le compte rendu du CN figure le lien URL vers le texte du Manifeste Pour une France hospitalière et fraternelle, une Europe solidaire d’avril 2018 dont il reste des exemplaires à la disposition des fédérations et des sections (s’adresser au secteur International: [email protected]).