En Colombie, construire la paix, défendre le changement

Vendredi 9 juin, le gouvernement colombien et la guérilla Armée de libération nationale (ELN) signaient à La Havane « l'accord de Cuba », concluant ainsi le troisième cycle des dialogues de paix entre les premières autorités de gauche de l'histoire du pays et la plus ancienne organisation insurgée active en Amérique latine.

Bien qu'il soit encore loin de marquer l'aboutissement du processus de négociations, l'accord de Cuba représente toutefois une étape importante et un événement inédit pour la paix en Colombie. En effet, pour la première fois dans la désormais longue histoire des discussions de paix entre les gouvernements successifs et l'ELN, les parties se sont accordées pour la mise en place d'un cessez-le-feu bilatéral de 180 jours sur l'ensemble du territoire national, qui doit prendre effet le 3 août prochain.

Le second accord adopté à La Havane concerne l'établissement de mécanismes effectifs pour la participation de la société dans la construction de la paix, revendication centrale de l'ELN depuis des années et qui rejoint la volonté de l'actuel gouvernement. Dans cet objectif, un Comité national de participation, composé de 30 organisations représentant différents secteurs de la société colombienne (paysans, peuples autochtones, entreprise privée, etc.) sera mis en place afin d'élaborer un Plan national de participation.

L'arrêt des hostilités entre les forces gouvernementales et l'ELN aura des effets bénéfiques immédiats pour les populations des régions concernées, en faisant baisser le niveau de violence et d'insécurité. La confiance ainsi créée doit permettre d'ouvrir un processus ouvert de participation et d'élaboration de propositions de changements économiques, sociaux et politiques substantiels pour le pays, à partir des territoires et des groupes les plus affectés par un conflit armé interne long de près de 60 ans.

Avec cet accord qui porte son nom, Cuba démontre une fois encore son rôle essentiel dans la construction de la paix et du progrès social dans les Amériques, huit ans après la signature de l'accord de paix entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC-EP). Un accord qui, malgré le sabotage du président suivant d'extrême droite, Iván Duque, avait une nouvelle phase d'expression démocratique dans le pays, ouvrant la voie aux mouvements populaires d'ampleur de 2019 et 2021 et à l'élection de Gustavo Petro en 2022.

Présent à La Havane le 9 juin, aux côtés du premier commandant de l'ELN Antonio García et du président cubain Miguel Díaz-Canel, Gustavo Petro n'a pas manqué de remercier Cuba pour son accueil de la deuxième phase des discussions, et a renouvelé publiquement son appel à Joe Biden de retirer la nation caribéenne de la liste des pays « soutenant le terrorisme ».

Une « décision abjecte de blocus (…) condamnant les peuples à la faim » et « violant leur droit à l'existence », qui trouve son prétexte dans le « coup de poignard dans le dos » d'Iván Duque, qui avait demandé à Cuba de violer ses engagements diplomatiques et extradant les négociateurs de l'ELN suite à l'abrupte fin des précédentes négociations, en 2018.

La route est encore longue pour arriver à un accord définitif entre le gouvernement et l'ELN, et plus encore pour atteindre l'objectif de « Paix totale » promu par Gustavo Petro. Avec l'accord de Cuba, un cap a toutefois été franchi. Comme l'affirme Jaime Caycedo, président du Parti communiste colombien : « Le cessez-le-feu, l'engagement pour des protocoles de vérification et la volonté positive exprimée par les parties sont une indication claire que la paix est possible. La solution politique, via le dialogue et les réformes sociales, est le véritable chemin ».

En ce sens, la mobilisation populaire et internationaliste est aujourd'hui indispensable pour soutenir l'application de l'accord de 2016 et le programme de réformes sociales impulsées par le gouvernement actuel (réforme fiscale, réforme de la santé, réforme du Code du travail) face aux attaques toujours plus graves menées par les secteurs mafieux et réactionnaires, qui refusent de voir leurs intérêts remis en cause.

Cet accord témoigne, une fois de plus, du caractère criminel de la décision prise par Donald Trump, neuf jours avant de quitter le Bureau Ovale, d’inscrire Cuba sur la liste des États finançant le terrorisme. Un des objectifs de la campagne de solidarité avec Cuba lancée par Fabien Roussel est de populariser l’iniquité, l’injustice et les conséquences de cette décision, afin d’interpeller le gouvernement français pour faire pression pour son retrait.

Cyril Benoit
membre de Commission des relations internationales du PCF