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Tout au long de cette semaine, ont eu lieu devant la Cour inter-américaine des droits de l’Homme, les audiences concernant l’affaire « Membres et militants de l’Union patriotique c. Colombie ». Celles-ci constituent l’aboutissement de trente ans de luttes pour la vérité, la justice et la réparation, visant à faire reconnaître la responsabilité de l’État colombien dans le véritable « génocide politique » commis contre le parti de gauche à partir de 1984.

Fondée dans le cadre des accords de La Uribe, signés cette même année entre le président conservateur de Belisario Betancur et la guérilla des FARC, l’UP avait pour objectif d’être l’organisation qui permettrait à la gauche colombienne de mener une lutte politique légale et pacifique, afin de briser le duopole oligarchique des partis libéral et conservateur et d’opérer les transformations sociales nécessaires au profit des classes dominées, exploitées et marginalisées du pays.

Aux côtés des guérilleros descendus de la montagne, le Parti communiste colombien et des personnalités issues de divers secteurs de la société lancèrent ce mouvement inédit qui obtint des succès non négligeables dès sa première participation électorale en 1986, devenant la troisième force politique.

Un défi intolérable pour les élites locales - tant les traditionnelles que celles liées au trafic de drogue alors en pleine expansion – qui décidèrent de liquider dans le sang cette menace à leur domination. De sa fondation à 2002, le Centre national de mémoire historique estime à au moins 4153 les membres et sympathisants de l’UP victimes de meurtres, d’enlèvement ou de disparition forcée. Parmi eux, deux candidats présidentiels, 11 députés, 109 conseillers locaux et 16 maires ou anciens maires. S’y ajoutent les victimes de déplacements forcés, de menaces, de tentatives d’assassinat, pour un total de plus de 6000 personnes.

Lors des audiences de cette semaine, qui se sont déroulées par visioconférence pour des raisons sanitaires, l’État colombien a pourtant choisi la voie du négationnisme historique, en rejetant tout à la fois sa responsabilité dans les massacres, mais d’abord et surtout en remettant en cause le nombre de victimes. Ainsi, selon Juana Acosta, représentante de l’Agence nationale de défense juridique de l’État, a demandé d’exclure de l’enquête 2420 victimes présumées et de n’en retenir que...219, les seules dont l’identité aurait pu être établie avec certitude par les autorités.

Selon Acosta, du fait de ce nombre trop réduit de victimes présumées, il serait impossible d’établir avec précision les modalités et donc les responsabilités du massacre, et in fine de condamner l’État à des réparations.

Ce négationnisme, qui n’est malheureusement pas surprenant venant du gouvernement d’extrême-droite du président Iván Duque, n’est pas uniquement tourné vers le passé. Il est également au centre de son (non)traitement du bain de sang qui touche les leaders sociaux et les ex-combattants démobilisés des FARC-EP.

Alors que l’on compte au moins 14 massacres (des « homicides collectifs » selon le président) depuis le début de l’année, ayant fait 46 morts1, des niveaux jamais atteints depuis les Accords de La Havane de 2016, le gouvernement a annoncé sa volonté de confier au seul Procureur général le soin d’établir les statistiques officielles concernant les violences contre les leaders sociaux.

Comme le souligne Ariel Ávila, sous-directeur de la fondation Paz y Reconciliación, cette décision conduira à réduire artificiellement les statistiques en utilisant une base de données plus restreinte que celle existant actuellement et en donnant la faculté aux services du Procureur de décider qui est, ou n’est pas, leader social. Ce dernier point pose problème quand on sait que c’est ensuite à ce même Procureur qu’il revient d’enquêter sur ces attaques et que sera grande la tentation de manipuler les chiffres pour donner l’illusion d’une réduction des statistiques.

Un risque renforcé par le fait que l’actuel Procureur, Francisco Barbosa, est un proche du président Duque, déjà mis en cause2 pour avoir affirmé que le nombre d’assassinats de leaders sociaux avait diminué de 47 % sous le mandat actuel, un pur mensonge.

Face aux crimes du passé comme à ceux du présent, et alors que 2021 s’annonce particulièrement sanglant, l’extrême-droite au pouvoir en Colombie cherche cyniquement à nier l’existence même des victimes afin de maintenir sa domination, de finir de déchirer les Accords de paix et d’éviter les critiques internationales. Une stratégie qui semble malheureusement pour l’instant payante, tout du moins sur le dernier point. Mais, face à l’ampleur des violences, il est d’abord vrai qu’il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Cyril Benoit
collectif Amérique latine du PCF

 

1 https://verdadabierta.com/
2 https://www.elespectador.com/opinion/a-maquillar-las-cifras-de-la-muerte/