Espagne : Les enjeux des élections législatives du 23 juillet

Après l’échec subi par la gauche aux élections municipales et régionales du 28 mai qui concernaient la totalité des 8 131 municipalités de l’État espagnol ainsi que 12 communautés autonomes sur 17 ; le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez a convoqué des législatives le 23 juillet.

Les résultats des élections municipales et régionales

Le Parti Populaire (PP) d’Aberto Feijoo l’emporte nettement tant aux municipales : 31,5% (22,62% en 2019) que dans les régions (communautés autonomes) où il l’emporte dans six des dix régions dirigées jusqu’alors (seul ou en coalition) par le Parti socialiste : Communauté valencienne, Extrémadure, Aragon, les Baléares, la Cantabrie et La Rioja. Le PP consolide ses positions à Madrid (majorité absolue tant à la région que dans la municipalité) et à Murcie.

La progression du PP est due à la fois à une plus grande mobilisation de l’électorat de droite mais surtout par la disparition de Ciudadanos (droite libérale) (1,35% contre 8,73% en 2019).

Sur la base de ces résultats, le PP ne peut prétendre gouverner les régions conquises sans l’appoint de Vox.

L’extrême droite représentée par Vox est la grande gagnante du scrutin ; avec 7,18% (3,56 %), elle multiplie par deux le résultat obtenu en 2019 et se consolide comme troisième force politique en étant représentée désormais dans tous les parlements régionaux.

Le Parti socialiste (PSOE) subit un léger recul (28,1% contre 29,38% en 2019) si l’on s’en tient au résultat des élections municipales ; mais ce recul est considérablement accentué par la perte d’une bonne partie de son pouvoir institutionnel, en grande partie du fait de l’éparpillement des voix au sein de la gauche de transformation sociale et au sein de celle-ci, du net affaiblissement de Unidas Podemos. Le PSOE perd notamment la région de Valence, où il gouvernait avec Compromis, Mas Pais et UP. Les socialistes continuent à s’affaiblir en Andalousie (notamment avec la perte de Séville) mais deviennent la première force politique en Catalogne où ils dominent dans l’aire métropolitaine de Barcelone. Dans la capitale catalane, les socialistes prennent la direction de la municipalité grâce à un accord avec En Comu-Podem pour ne pas laisser la droite nationaliste catalane diriger la mairie.

Unidas Podemos (Izquierda Unida et Podemos) recueille les plus mauvais résultats de son histoire tant au plan municipal qu’au plan régional. Unidas Podemos se présentait dans 10 des 12 communautés autonomes où elle avait des élus et où elle participait aux exécutifs des gouvernements régionaux ; ne réussissant pas, dans la plupart des cas, à franchir le seuil des 5% lui permettant d’avoir des élus, UP passe ainsi au total de 47 conseillers régionaux à 15 (-32). La coalition ne sera plus représentée dans les communautés autonomes de Madrid, Pays Valencien, Iles Canaries, îles Baléares ; en Aragon, UP passe de cinq à un conseiller ; dans les Asturies (IU+Mas Pais : trois élus et Podemos un élu), de même qu’en Navarre (trois élus), UP résiste et favorise la constitution de gouvernements progressistes dans ces régions. En Extrémadure le double recul du PSOE et de UP ne permet pas au PSOE de gouverner la région.

Si l’on compare en nombre de voix les résultats obtenus par UP lors de ces élections aux résultats des élections générales de 2019, UP serait passée en quatre ans de trois millions de voix à un million en 2023. Aux élections municipales le résultat de Izquierda unida est relativement meilleur - bien qu’elle perde un tiers de ses conseillers en quatre ans - surtout dans les grandes villes. Elle conserve les mairies de Zamora, RivasVaciamadrid, Mieres (Asturies) et environ 1 600 conseillers municipaux dans une quarantaine de petites municipalités conservées surtout en Andalousie.

La baisse de l’ensemble du bloc progressiste s’observe sur tout le territoire. Toutes les forces ont reculé mais pas dans les mêmes proportions : si les résultats de UP restent l’élément déterminant du recul ; Mas Madrid (18,35%) égale son résultat de 2019. Dans la communauté valencienne, Compromis passe de 16,45% à 14,3%. En Comu Podem en Catalogne passe de 10,46% à 8,85%.

Il faut également souligner qu’au Pays basque, en Galice et en Catalogne les forces nationalistes situées à gauche : Bildu , le Bloc National Galicien et dans une moindre mesure la Gauche Républicaine de Catalogne, consolident leurs positions.

Les enjeux des élections générales du 23 juillet

1) Les risques de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite.

Au vu des résultats des élections locales et des projections que donnent les sondages pour les élections générales, la droite pourrait l’emporter en voix et en sièges mais le Parti Populaire ne serait pas en mesure de constituer une majorité absolue au Parlement sans un accord de gouvernement avec l’extrême droite.

Au lendemain des élections locales le leader du PP a annoncé que s’il obtenait une majorité suffisante pour gouverner, il s’attacherait à revenir sur nombre de réformes progressistes de la gauche, qui ont produit des avancées sociales et démocratiques importantes : loi de mémoire démocratique ; lois sur l’égalité de genre ; loi Trans concernant le collectif LGTBI), loi sur le logement… ne constituent que les premières annonces.

Mais plus encore la gauche et les principaux syndicats et collectifs sociaux alertent sur « l’agenda caché » de la droite et de l’extrême droite : modification de la loi sur les retraites qui vise à garantir le pouvoir d’achat des retraités ; mise en cause de la réforme du travail adoptée en 2021 (le PP souhaite en modifier unilatéralement les principales mesures parce qu’elles mettraient en cause la « compétitivité des entreprises »).

Les accords qui sont en cours de concrétisation entre le PP et Vox dans les six régions et plus d’une centaine de villes conquises par la droite, montrent que désormais le PP assume les principaux postulats idéologiques de l’extrême droite sur la violence de genre (Vox a été le seul parti aux Cortes à ne pas avoir signé le dernier pacte contre la violence sexiste) ; le durcissement de la législation concernant les migrants ; la mise en cause des postulats de lutte contre le réchauffement climatique… Le soutien de Vox sera décisif au moment de l’approbation des budgets dans les communautés autonomes et dans les municipalités. Cela laisse donc augurer un recul historique des droits et libertés si la droite revenait au pouvoir.

Autre élément important de ce glissement à droite de plus en plus marqué : le PP qui n’a cessé depuis des années d’exacerber le débat sur « l’unité de l’Espagne » prétendument menacée selon elle par les « séparatistes » basques et catalans ; pourrait, en s’alliant avec Vox, remettre progressivement en cause les formes d’autonomie régionale les plus avancées, dont les principes sont inscrits dans la Constitution qui reconnait le cadre plurinational de l’État espagnol.

2) L’urgence d’une remobilisation de l’ensemble de la gauche

Les accords de gouvernement qui sont en train d’être passés entre le PP et Vox dans les communautés autonomes et dans les principales villes du pays montrent l’urgence d’une mobilisation de la gauche dans son ensemble pour faire face au péril que constituerait l’arrivée au pouvoir de l’ultra-droite coalisée.

Les résultats des élections du 22 mai montrent que la campagne du chef du gouvernement Pedro Sanchez et du PSOE pour mettre en valeur le bilan du gouvernement de coalition de gauche, notamment sur le plan économique et social : réforme du travail avec des conséquences positives sur le recul du chômage ; revalorisation des retraites ; hausse importante du salaire minimum, politiques fiscales visant à réduire le coût de l’énergie… n’a pas été suffisante pour mobiliser une partie de l’électorat notamment populaire.

Ces mesures n’ont pas contrebalancé suffisamment la perception dans une partie de la population des effets de la crise notamment sur l’augmentation du coût de la vie (hausse des prix des produits de base) ; l’insécurité et la peur que suscitent l’avenir (immigration incontrôlée) ; le contexte de guerre aux portes de l’Europe, ont contribué également à ce climat anxiogène que la droite et l’extrême droite ont pu exploiter.

La modification du calendrier électoral intervient au moment où l’Espagne prend – pour six mois – la présidence tournante de l’UE à partir du premier juillet 2023.

Beaucoup incertitudes pèsent sur l’agenda de cette présidence défini avec Bruxelles et dont la présentation a été reportée au mois de septembre.

Bien des règlementations attendent un feu vert définitif au plan européen : loi sur l’intelligence artificielle, réformes des règles fiscales, achèvement de la réforme bancaire, pacte asile et migrations, réforme du marché de l’électricité ; débat sur une modification potentielle des traités qui permettent de prendre les décisions de politique étrangère à la majorité qualifiée et non à l’unanimité. Or, certaines de ces réformes sont de plus en plus difficiles à mettre en œuvre et vont donner lieu à d’âpres débats, du fait du retour de la rigueur budgétaire après la pandémie, de la montée exponentielle des dépenses d’armement et de la pression exercée par l’extrême droite de plus en plus normalisée au plan des États européens (Italie, Suède, Finlande…) comme dans les institutions européennes.

Dans ce contexte, la concrétisation de la confluence d’une quinzaine d’organisations de la gauche de transformation sociale au sein de SUMAR et du projet politique porté par Yolanda Diaz peut être un élément décisif dans la modification du rapport des forces qui pourrait permettre à l’ensemble de la gauche de définir, si elle l’emportait le 23 juillet, un nouveau contrat de gouvernement progressiste.

La quinzaine d’organisations qui se rassemblent désormais dans SUMAR (Podemos, Izquierda Unida-PCE ; Mas Madrid et Mas Pais ; Compromis (pays valencien) ; Catalogne en Commun ; Verts-Equo ; Alliance verte ; Chunta aragonaise ; Batzarre (Navarre) ; Més (Baléares) ; Projet Drago (Canaries) ; Initiative du peuple andalou ; Mouvement pour la dignité et la citoyenneté (Ceuta)) ont obtenu 2,2 millions de suffrages lors des dernières élections municipales et 2,9 millions en 2019.

Si ces forces réussissaient, ensemble, à atteindre voire dépasser le résultat obtenu par Unidas Podemos et Compromis-Mas Pais lors des élections générales de 2019 (respectivement 12,8% et 2,4% = 3,5 millions de voix) et si le PSOE se rapprochait de son niveau de 2019 (28% et 120 sièges) ; cela pourrait permettre à SUMAR de devancer l’extrême droite en tant que troisième force politique, et d’optimiser son résultat en nombre de sièges répartis sur l’ensemble du territoire.

Avec le regroupement de ces forces et le dépassement des divisions passées, une nouvelle dynamique mobilisatrice peut donc émerger pour l’ensemble des forces de transformation sociale réunies dans SUMAR.

Avec une double exigence : celle de partir des avancées sociales et démocratiques réalisées par le gouvernement de coalition PSOE-Unidas Podemos au cours de la dernière législature ; et en même temps celle de la conquête de nouveaux droits sociaux et libertés démocratiques.

Yolanda Diaz et SUMAR s’engagent dans la campagne électorale en mettant au centre de celle-ci l’exigence de nouvelles mesures concernant la réduction des inégalités et une meilleure redistribution des richesses : limitation des hausses de loyers, réduction du coût des hypothèques payées par les familles concernant l’achat de leur maison face à la hausse des taux d’intérêt ; réduction progressive du temps de travail ; augmentation de l’impôt sur les grandes fortunes et sur les sociétés ; hausse du revenu minimum vital et plus généralement nécessité de continuer à prendre des mesures de protection des familles les plus vulnérables face aux effets durables de la guerre en Ukraine avec notamment des mesures de baisse du coût de l’énergie et de l’électricité.

Enfin, face au blocage institutionnel opéré par la droite ces dernières années, l’exigence de propositions concernant la régénération démocratique de l’État espagnol, tenant compte, notamment, de la réalité plurinationale de celui-ci ; de même que des propositions à la hauteur des enjeux, concernant la lutte contre le réchauffement climatique et la consolidation des droits et libertés fondamentaux ; seront également au centre de la campagne.

José Cordon
Commission des relations internationales - Europe