Europe orientale : Pour aller à l’encontre des somnambules et des va-t-en-guerre la France doit prendre l’initiative d’une conférence de sécurité collective

L’escalade militaire et les surenchères verbales et diplomatiques en Europe orientale sont extrêmement dangereuses. Notre continent est assis sur un baril de poudre.

La concentration militaire extrême, en Ukraine, en mer Noire, voire dans le Pacifique, accentue l’instabilité et la volatilité de la situation qui peut dégénérer d’une manière incontrôlée au moindre incident, ou à la moindre provocation, d’où qu’elle vienne. À l’image de ce qui s’est produit ce samedi 12 février, lorsque la Russie a accusé un sous-marin américain d’avoir pénétré, aux îles Kouriles, dans l’espace maritime russe. Dans le même temps, selon les données du ministère de la Défense russe, 30 navires russes de la flotte de la mer Noire ont pris la mer. Le renforcement annoncé ces derniers jours de la présence militaire de l’Otan en Pologne et en Roumanie aggrave les risques. En utilisant la théâtralisation et l’exacerbation de la tension, les États-Unis évacuent la majeure partie de leur personnel diplomatique à Kiev et brûlent des documents confidentiels. L’annonce de la tenue à Kiev de la prochaine session de l’assemblée parlementaire de l’Otan est une véritable provocation.
Oui, les risques de guerre existent, et son déclencheur peut provenir de n’importe où.

Comment en est-on arrivé là ?

L’Otan porte la responsabilité historique, structurelle et principale des tensions et des risques de guerre. Les États-Unis ont en effet fait le choix de son extension en Europe de l’Est, en 1999 et 2004, commençant dès 2010 à déployer le « bouclier antimissile » dans cette région. La chronologie est importante. L’extension de l’Otan à l’Est s’est faite bien avant l’annexion de la Crimée. Plus que jamais, cette alliance militaire, c’est la guerre.

L’autre aspect de cette responsabilité historique concerne cette fois-ci l’Ukraine. Comment réagiraient les États-Unis si les Russes déployaient des missiles anti-char ou des forces spéciales au Canada et au Mexique ? Par ailleurs, les « garants » des Accords de Minsk, à savoir la France et l’Allemagne, ont depuis 2014 laissé pourrir la situation dans le Donbass, faute de vouloir faire pression sur les gouvernements successifs en place à Kiev pour qu’ils mettent en application la dimension politique de leur contenu, à savoir l’instauration d’un statut spécial pour les régions orientales et l’amnistie. Depuis 2019 et la dernière rencontre de haut niveau du « format Normandie » à Paris, il ne s’est rien passé. La crise importante du printemps 2021 n’a pas davantage fait bouger les Occidentaux.

Bien évidemment, les couloirs du pouvoir en Russie ont eux aussi leurs nationalistes et leurs militaristes. La politique de l’Otan, et les sanctions, inutiles, prises en 2014, n’ont fait que les renforcer. Le régime actuellement en place à Moscou, issu lui-même du coup d’État de 1993, à l’époque avec la bénédiction des Occidentaux, est clérical, autoritaire et ultra-libéral. Pourtant, face à un pays dont la doctrine n’a rien à voir avec l’Union soviétique, mais replonge dans le souvenir du tsar Alexandre III qui disait que « la Russie n'a que deux alliés : son armée et sa flotte », et dont l’économie rentière dépend des cours mondiaux des hydrocarbures, la responsabilité première des tensions penche clairement du côté d’une alliance militaire qui possède à elle seule plus de la moitié des capacités guerrières mondiales.

Emmanuel Macron dit vouloir poursuivre le « dialogue » avec Moscou. Sa visite à Moscou, suivie d’un passage à Kiev, fut une initiative bienvenue. Mais son action trouve rapidement ses limites, car elle est indissociablement liée à l’Otan. L’envoi de troupes françaises en Roumanie, annoncé par Emmanuel Macron, ainsi que la présence d’unités militaires en Estonie dans le cadre des bataillons multinationaux de l’Otan, ne vont clairement pas dans le sens de la désescalade. Un tel positionnement compromet sérieusement le rôle que la France peut et doit jouer pour la paix et la sécurité collective.

Si la poursuite des discussions est bien évidemment une bonne nouvelle, elle est cependant insuffisante pour casser l’engrenage guerrier. La France, qui préside le conseil de l’Union européenne, et qui est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, doit utiliser ses marges de manœuvre pour agir en toute souveraineté.

La France peut et doit prendre des initiatives immédiates :

• Notre pays doit exiger d’être réellement partie prenante des discussions, alors que les Européens en sont pratiquement écartés, en suspendant immédiatement la participation de la France aux opérations conjointes avec les États-Unis en Europe.

• Il doit se dégager de la tutelle de l’Otan en prenant, en toute indépendance, l’initiative de proposer l’organisation, sous l’égide de l’ONU, d’une conférence de paix et de sécurité collective afin de négocier un règlement politique général des sources de tensions, qu’elles soient territoriales, militaires, énergétiques, politiques, informationnelles. L’ambition doit être d’aboutir à un traité de paix, de coopération et de sécurité collective en Europe, incluant la Russie. Ce qui a été possible en pleine Guerre froide, avec la conférence d’Helsinki, est encore plus nécessaire aujourd’hui. En cas de désaccords persistants, le dernier mot devra revenir aux peuples en application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

• Le déploiement des troupes françaises en Roumanie doit être stoppé et nos forces stationnées en Estonie doivent être rappelées.

• Il revient à la France de s’opposer à toute nouvelle extension de l’Otan et à l’envoi de matériel militaire dans la région. Rappelons que la France et l’Allemagne se sont opposées à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan lors du sommet de Bucarest de 2008.

• Il lui incombe aussi d’agir, dans le cadre du format « Normandie », pour l’application totale des Accords de Minsk par toutes les parties, afin de mettre fin à la guerre civile en Ukraine. Cela implique que le gouvernement ukrainien engage le processus de décentralisation du pays.

• Les représentants de la France doivent s’opposer aux sanctions contre la Russie et la Biélorussie, qui sont totalement contre-productives.

• Le processus de sortie du commandement militaire intégré de l’Otan, que la France a rejoint sous Nicolas Sarkozy, doit être sans délai engagé, dans la perspective de la sortie pure et simple et de la dissolution de l’Otan.

Contre la logique de blocs défendue par l’Otan, et les menaces qu’elle fait peser sur l’Europe et le monde, il est indispensable d’avancer vers un nouvel espace commun de sécurité collective en Europe, incluant la Russie, favorisant une approche globale des questions de sécurité, dans ses dimensions géopolitiques, environnementales, démocratiques, sociales, économiques et commerciales. La sécurité collective repose sur un principe clé : l’indivisibilité de la sécurité. Ce sont des initiatives politiques et diplomatiques qui s’inscrivent dans cette logique qu’il convient, urgemment, de prendre.

La sécurité de l’Europe dépend de la sécurité de la Russie. Aucune grande décision sur la sécurité collective en Europe ne s’est prise sans la Russie, et encore moins contre la Russie, que ce soit la conférence d’Helsinki de 1975, ou le sommet de l’OSCE de Paris en 1990.

Minuit moins cinq n’est pas encore minuit.

Vincent Boulet
responsable des Questions européennes
membre de la Commission des relations internationales du PCF