Hommage aux 27 fusillés de Châteaubriant

Publié le 25 octobre 2023

Non à la haine, à la violence. Oui à la paix et à la liberté

Discours de Fabien Roussel, 22 octobre 2023 (extraits)

Le 22 octobre 1941, il y a 82 ans, dans cette même clairière où nous nous trouvons, par une journée claire et sous un ciel pur, 27 hommes, pour certains à peine sortis de l’adolescence, tombaient sous les balles allemandes. 27 otages, prisonniers de l’occupant nazi et de ses exécutants vichyssois. 27 patriotes, pourtant. Amoureux de la France à en mourir. Tous épris d’un idéal de paix, de justice et de liberté qu’aucun d’entre eux - face à la mort - n’abjura.

Ils sont les 27 martyres de la France combattante. Les glorieux héros d’un pays souterrain qui, trahi par nombre de ses élites, écrasé par le talon de fer de la botte nazie, refusa de s’avouer jamais vaincu. 27 noms inscrits à jamais au Panthéon de la mémoire nationale. 27 vies volées, confisquées par la barbarie qui donnèrent à la Résistance française une irrésistible force populaire.

Châteaubriant est un symbole. Symbole d’un crime devant l’Histoire ; comme un gant sanglant jeté à la face de l’humanité et relevé par le courage d’hommes et de femmes qui, au péril de leur vie, gardèrent foi en ses valeurs les plus élevées. Symbole d’un peuple travailleur et fraternel qui refusa l’occupation, animé par sa soif de justice sociale et d’émancipation.

Quatre-vingt-deux ans se sont écoulés depuis ce 22 octobre tragique où dans ce camp de Choisel, placé sous la surveillance de gendarmes français, trois camions se sont rangés le long des murs de la baraque numéro 6. Entre ces murs de bois - vivants mais déjà condamnés -, 27 hommes sont appelés. Coupables de faits dont ils étaient ignorants, livrés à l’occupant afin d’être exécutés, « passés par les armes », écrivait Louis Aragon, « sur l’avis de ceux qui prétendent assurer la police dans le pays, y donnant ainsi l’exemple révoltant du crime ».

C’est d’ailleurs un officier français, Julien Touya, adjoint au directeur du camp, et qui s’était déjà illustré de sinistre mémoire auprès des antifascistes espagnols, qui égrène leurs noms. C’est le dernier appel. De tout le camp - des camions et des baraques - en forme de dernier adieu aux 27 qui vont mourir, monte fièrement une Marseillaise ; c’est bientôt 400 cœurs français qui, battant à l’unisson, chantent la dignité, le courage et l’espoir. C’est la France qui salue ses martyrs avant que le silence ne retombe sur leurs bourreaux.

À 15 h 15, les 27 sont transportés dans cette sablière où les attendent neuf poteaux, plantés de 5 m en 5 m, avant d’être exécutés par un peloton SS. Aucun d’eux n’acceptera d’avoir les yeux bandés.

À Châteaubriant, c’est jour de marché lorsque l’écho mortel des fusillades déchire le ciel d’azur. Le soir même, le lieu des exécutions est fleuri par de courageux patriotes, et dès le dimanche suivant et le jour de la Toussaint, le site, malgré le danger pour celles et ceux qui s’y rendent, devient un lieu de recueillement.

Le 30 octobre, à la radio de Londres, le général de Gaulle appelle la population à un « garde à vous » sur tout le territoire : « En fusillant nos martyrs [prophétise-t-il], l’ennemi a cru qu’il allait faire peur à la France. La France va lui montrer qu’elle n’a pas peur de lui. »

Résistance intérieure et France libre font cause commune. Des grèves éclatent sur le sol de France. À la même date, les ouvriers de l’arsenal de Brest refusent de travailler. Et une manifestation puissante envahit les rues le 31 octobre.

Quatre-vingt-dix-huit otages sont passés par les armes en trois jours : vingt-sept à Châteaubriant, seize à Nantes et cinq au Mont-Valérien le 22 octobre, cinquante à Souge, près de Bordeaux, deux jours plus tard. Et combien d’autres encore ?

Ce visage de la collaboration, c’est celui de Pierre Pucheu, ancien doriotiste, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy, qui établit lui-même la liste, sélectionnant et envoyant à la mort ceux du camp de Choisel que leur engagement communiste et leurs activités syndicales rendaient à ses yeux particulièrement coupables.

En les choisissant, la France de Pétain, celle qui préférait « Hitler au Front populaire », se vengeait dans le sang de 1936, des congés payés et de la semaine de 40 heures, de tous ces audacieux, qui avaient occupés les usines de France.

Parmi les 27 de Châteaubriant, tous étaient communistes, souvent militants de la CGT dont certains dirigeaient de puissantes fédérations. Ils s’appelaient Jean-Pierre Timbaud, Jean Poulmarc’h, Jules Vercruysse, Charles Michels, député, ou Guy Môquet, fils du député Prospère Môquet. Ils étaient métallo, chaudronnier, cheminot, instituteur, médecin, ingénieur, gazier, marin pécheur. Ils étaient maire, conseiller général, député. Ils étaient les otages d’un État français qui avait mis à bas la République, substituant à la devise « Liberté-Égalité-Fraternité », le triptyque « Travail-Famille-Patrie ».

À la fin de la guerre, la France pleurera plusieurs milliers de fusillés. Une grande majorité d’entre eux étaient communistes. Ouvriers, intellectuels, étudiants, paysans, ils s’engageaient, du côté de la vie, pour une société plus juste et plus fraternelle. Pour une France libre et heureuse. Pour mettre fin à la pire entreprise criminelle jamais engagée par l’homme contre lui-même.

Dans les ténèbres de la Seconde Guerre mondiale, dans un pays occupé, elles et ils ont su espérer, agir et rebâtir par leur courage politique et moral les fondations d’une société nouvelle qui s’incarnera à la fin de la guerre dans le programme du Conseil national de la Résistance. « Camarades qui restez… soyez courageux et confiants dans l’avenir, soyez dignes de nous, les 27, qui allons mourir ».

La France du Conseil national de la Résistance qui donna naissance à l’ambitieux programme des Jours heureux participe de cette fidélité, de cette confiance en l’Homme et ses vertus les plus belles, pour lutter contre la désespérance et l’impuissance devant les difficultés de notre temps.

Se montrer « dignes » de cet héritage, c’est contribuer à le défendre et le faire vivre partout où il se trouve menacé ; c’est mettre l’être humain au cœur de tous nos choix, au cœur de toutes nos propositions ; c’est continuer à défendre la paix et encore la paix, toujours la paix. Se montrer « dignes », c’est continuer de défendre avec fierté un monde du travail aujourd’hui si malmené dont l’apport déterminant dans la Résistance fit dire à Mauriac que « seule dans sa masse, la classe ouvrière est restée fidèle à la patrie profanée ».

Quatre-vingt-deux ans après les faits, cette commémoration de Châteaubriant demeure d’une cruelle actualité, à l’heure où les fanatismes, les extrémismes, la barbarie s’en prennent aveuglément à des civils.

Pour voir la vidéo du discours complet, cliquer ici : 

https://www.youtube.com/watch?v=OD6wqUGuXns