L’ESS et les communistes

Dans l’éditorial de Coopér’actif de février 2019, Caroline Besse écrivait : « En tant que communistes et militant·e·s de l’ESS, nous savons que ses principes et valeurs en font un chemin privilégié vers le dépassement du capitalisme... »

De quoi s’agit-il plus précisément ? Nous savons que le dépassement du capitalisme ce ne sera ni « le grand soir », ni la seule prise du pouvoir par les urnes. Ce sera un changement profond de société qui devra d’abord s’appuyer sur ce qui existe déjà de façon plus ou moins ébauchée (qu’on nomme souvent le communisme déjà là), tout en le développant et en créant du nouveau.

L’Économie sociale et solidaire (ESS) fait partie de ces ébauches de société communiste par les valeurs émancipatrices sur lesquelles elle repose. Parmi celles-ci, deux sont fondamentales du point de vue de l’alternative au capitalisme.

D’une part, elle privilégie la valeur d’usage sur la valeur marchande, à la fois dans ses buts - notamment au niveau des associations de solidarité, dans le recours aux bénévoles, et dans la non-lucrativité (ou lucrativité limitée). Les coopératives ne permettent pas de bénéfice sur les parts sociales, et obligent à mutualiser sous forme de fonds propres une partie de bénéfices.

D’autre part, elle définit un mode de gestion démocratique pour les entreprises (coopératives notamment) avec le fameux slogan issu des statuts « une personne une voix » permettant aux salariés coopérateurs d’avoir le pouvoir dans la gestion et les objectifs de l’entreprise. Évidemment, il s ‘agit là de possibles qui font donc l’objet d’une très forte lutte idéologique dont l’issue est déterminante pour faire ou pas de l’ESS du communisme déjà là. Sans compter qu’il manque encore des notions importantes pour faire de l’ESS une véritable alternative au capitalisme, notamment la remise en question de la subordination dans le cadre de l’entreprise. Il y a là un champ d’action important pour les communistes.

Les forces libérales, de leur côté, ont pris conscience du danger que représente l’ESS, et mettent en place des moyens importants pour la transformer en se débarrassant précisément de ces deux aspects émancipateurs. La loi Hamon de 2014 avait déjà ouvert la brèche en introduisant la possibilité pour certaines entreprises à but lucratif de se parer du label ESS. Avec la notion d’entrepreneuriat social, de french impact, le gouvernement Macron cherche à faire disparaître l’idée de démocratie, comme de non-lucrativité au profit de celle de « mission ». Pire encore peut-être, le remplacement par des appels d’offres, des subventions qui permettaient à de nombreuses associations de solidarité de vivre, remet en avant la valeur marchande et la compétition, au détriment de la valeur d’usage. Les associations devenant concurrentes pour ces missions qui sont évaluées en fonction des critères marchands des bailleurs de fonds.

Les valeurs émancipatrices sont certes loin d’être toujours mises en œuvre dans les structures de l’ESS. Les banques dites coopératives, voire certaines mutuelles, fonctionnent avec les mêmes « valeurs » que les banques capitalistes, et mettent en pratique un simulacre de démocratie. Mais cela ne doit pas masquer le fait que de multiples structures de l’ESS réussissent à mettre en œuvre ces valeurs. Certaines coopératives parviennent à un degré important d’autogestion, la forme la plus élaborée de démocratie à l’entreprise. Dans de nombreuses structures de l’ESS, un fonctionnement écoresponsable, souvent à ancrage territorial, fait jouer à la valeur d’usage un rôle important, même si, évidemment, ces coopératives restent soumises à la « loi du marché ». On a beaucoup parlé de la Scop-Ti issue de la lutte des Fralibs, mais il y en a beaucoup d’autres de plus ou moins grande taille, créées de novo ou reprises à partir d’entreprises capitalistes. Favoriser partout où c’est possible l’implantation de telles structures, aider au développement de pratiques cohérentes avec les valeurs ou en empêcher la perte par la routine, sont des tâches que des municipalités communistes peuvent réaliser avec succès. Mais faire connaître et reconnaître ces valeurs dans les structures de l’ESS qui s’en sont détournées, peut devenir une tâche des communistes usagers de ces structures. Enfin, faire connaître hors de l’ESS les valeurs de celle-ci et les multiples cas où elles irriguent les pratiques avec succès peut faire l’objet des préoccupations de tous les communistes. Cela permet de montrer qu’une alternative au capitalisme est non seulement souhaitable, mais qu’elle est possible dès maintenant, malgré les fortes contraintes de notre société capitaliste.

La commission ESS du PCF a entrepris un travail pour dégager une conception communiste de l’ESS qui devrait donner lieu à un manifeste aidant les communistes dans ces tâches à court terme, tout en faisant des propositions à moyen terme pour une amélioration de la mise en œuvre du communisme déjà là.

Janine Guespin et Sylvie Mayer