L'Ethiopie, un pays de plus qui a basculé dans la guerre

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Les troupes du Front de libération du Tigré aux portes d'Addis Abeba

En Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d'Afrique, la guerre fait rage depuis un an. Un conflit violent, où les civils paient un lourd tribut. 2 millions de personnes déplacées, 400 000 menacées par la famine. Les troupes du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT, nord du pays) progressent vers le sud et se dirigent vers la capitale Addis Abeba.

En 2018, le pouvoir éthiopien sous l'impulsion du nouveau premier ministre Abiy Ahmed, largement élu, avait réussi à signer un accord de paix avec l'Érythrée mettant fin à des décennies de conflit. Cela lui avait valu le prix Nobel de la paix. L'accord avait été suivi d'une entente tripartite entre l'Éthiopie, l'Érythrée et la Somalie. Cette avancée a été littéralement brisée, par des forces intérieures et extérieures qui trouvent intérêt à la déstabilisation actuelle. L’Éthiopie est donc minée par la guerre. Elle s'ajoute à la longue liste des pays en proie au chaos. Avec de lourds risques d'embrasement régional.

Le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), issu d'une région qui représente 6 % de la population éthiopienne, a abandonné toute référence au marxisme depuis 1990 au bénéfice d'un ethno-nationalisme de plus en plus en plus exclusif. Il a eu une influence considérable sur les pouvoirs et les instances militaires qui se sont succédé à travers son soutien au Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien jusqu'en 2018, date de la venue au pouvoir de l'actuel premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. Le FLPT a joué un grand rôle dans la mise en place de la Constitution de 1995 qui instaure un système de gouvernance fondé sur la notion de fédéralisme ethnique, qui fragilise l'unité et le vivre ensemble au sein du pays. Les relations avec les États-Unis et le FLPT ont toujours été excellentes. Par ailleurs, la forte implantation des cadres du FLPT dans l'appareil sécuritaire contribue sans doute à expliquer la poussée militaire actuelle qui met en difficulté le pouvoir central.

S'ajoutent à cela l'alliance du FLPT avec l'Armée de libération oromo et les agissements particulièrement brutaux du pouvoir central éthiopien, de l'armée érythréenne et de milices du Mouvement national amhara dans la région du Tigré. Un rapport conjoint de l'ONU et de la Commission éthiopienne des droits humains fait état de massacres, d'attaques aveugles, de violences sexuelles et de tortures commis par tous les belligérants. Ce rapport conclut à de possibles crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Des voix, comme celle de Mohamed Hassan, ancien diplomate éthiopien, impliqué au plus haut niveau dans la gestion de l'État somali d'Éthiopie accusent les forces de l'OTAN, États-Unis en tête, d'une complicité entre celles-ci et le FPLT pour affaiblir l'État central éthiopien et ce en vue d'un pouvoir plus favorable aux puissances occidentales et à leurs entreprises.

C'est ce que le PCF dénonçait déjà en novembre 2020 au début du conflit dans une déclaration précisant déjà les enjeux, les risques et les seules issues possibles : « Le premier ministre éthiopien Abiy Hamed est face à ses responsabilités. D'autant qu'il est récipiendaire du prix Nobel de la paix 2019 pour son action dans la sous-région. Cela oblige le pouvoir fédéral à agir en faveur d'un règlement politique du conflit pour dépasser le piège des rivalités internes et des ingérences extérieures. Le remplissage du barrage de la Renaissance avive les tensions avec le Soudan et l'Égypte qui redoutent de graves conséquences avec la diminution du débit du Nil Bleu. En octobre, le président américain Donald Trump avait jeté de l'huile sur le feu en incitant les Égyptiens à la guerre contre l'Éthiopie. Une attitude dangereuse. Seules les négociations pourront permettre de sortir de l'impasse. »

Aujourd'hui, Donald Trump n'est plus aux manettes, mais la politique de Joe Biden s'inscrit dans la même veine, l'outrance en moins, la discrétion en plus. Aux provocations du FLPT et son envie d'en découdre, le pouvoir d'Abiy Hamed a répondu de la pire des manières, ajoutant de la violence à la violence. Il s'est ainsi enfermé de lui-même dans le piège de ceux qui soufflaient sur les braises. Un an de guerre et de violations se soldent par un désastre, qui se poursuit et s'amplifie.

Aujourd'hui, le PCF réitère son soutien au Secrétariat général des Nations unies demandant un cessez-le-feu immédiat et estime, comme lui, que la stabilité politique de l'Éthiopie est importante pour l'ensemble de la Corne de l'Afrique comme le démontrent les accords de paix cités plus haut.

Il serait également souhaitable que toutes les implications intérieures et étrangères dans ce conflit soient mises au jour et dénoncées. Ici comme ailleurs, l'affaiblissement des États et des pouvoirs publics dans toutes leurs dimensions est mis à profit par des forces de division et de haine, ce qui, quelles que soient les raisons avancées, vraies ou supposées, ne peut que faire le jeu des puissances et des multinationales. Cette situation entrave le développement et produira des migrations forcées dans les zones géographiques concernées principalement et, marginalement, dans d'autres zones comme l'Europe.

Plus généralement, l'affrontement entre la Chine et les pays occidentaux emmenés par les États-Unis se traduit aussi, et de manière de plus de plus visible, dans le caractère antinomique des approches : pour arriver à ses fins, la Chine a besoin d'un monde de stabilité, ce qui était le cas en 2020 en Éthiopie avec laquelle existent de très forts et nombreux partenariats. A l'inverse, les États-Unis et ses relais recourent à la déstabilisation, à la guerre et au remodelage des territoires. Ce mode de gouvernance du capitalisme contemporain étend sa toile. Il se cache derrière les doubles langages dont excellent les diplomaties, qui déplorent un état de fait pour mieux camoufler une impuissance, un laisser-faire ou, pire encore, une complicité.

A terme, la France a tout à perdre à se ranger dans cet illusoire et dangereux mode de gouvernance. Elle en fait l'amère expérience au Sahel avec le rejet grandissant des populations à son égard. Le blocage ce 18 novembre d'un convoi militaire français au Burkina Faso, obligé de faire demi-tour, en est une illustration.

A contrario, la France aurait tout à gagner à se ranger résolument en faveur d'un monde de stabilité, de paix, de coopération. Pour cela, elle devrait porter, au sein de l'Union européenne, dont elle s'apprête à prendre la présidence, et en intelligence avec l'Union africaine, des initiatives pour promouvoir la paix, en Éthiopie et ailleurs, et tourner le dos au désordre libéral qui s'étend.

Collectif Afrique du PCF