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Après la Zambie, le Ghana a fait défaut de paiement de sa dette extérieure. La semaine dernière, le pays de Kwame Nkrumah a annoncé la suspension du paiement d’une partie des euro-obligations alors qu’il est en pleine négociation avec le Fonds monétaire international (FMI). Cette décision a été prise dans un contexte de grave crise économique marquée par une inflation à plus de 50 % avec un doublement des prix à la pompe et une dévaluation de 50 % du cedi (la monnaie du pays) par rapport au dollar. L’État ghanéen qui consacrait la moitié de ses revenus au service de la dette est dorénavant lesté de 6 milliards de dollars supplémentaires avec la dévaluation du cedi. La situation du Ghana n’est pas isolée. Dans les semaines et mois à venir, 19 pays africains en situation de surendettement risquent de connaître le même sort.

Selon l’économiste bissau-guinéen, Carlos Lopes, il y a trois raisons à cette situation d’assèchement de liquidités comme vient de le connaître le Ghana : la guerre commerciale opposant la Chine et les États-Unis, les conséquences de la pandémie de la COVID-19 et de la guerre en Ukraine. La guerre commerciale lancée unilatéralement par l’administration Trump a ralenti la demande mondiale notamment celle des matières premières qui sont les principales pourvoyeuses de ressources aux pays africains. En Afrique subsaharienne, si la pandémie à COVID-19 n’a pas eu un impact épidémiologique comparable à celui qu’a connu l’Europe ou de l’Amérique du Nord, ses conséquences économiques sont catastrophiques. Selon les estimations de la Banque mondiale, l’activité économique s’est contractée (-2,6 % en 2020). La pandémie a plongé la région dans sa première récession depuis plus de 30 ans. Le PIB par tête a connu une baisse plus marquée en raison de la croissance de démographique (- 4,7 %). La pauvreté, mesurée par le seuil international de pauvreté, a augmenté en 2020 pour la première fois depuis 1998. On compte 26 à 40 millions de personnes pauvres supplémentaires. La Banque mondiale rapporte que « les femmes et les jeunes ont souffert de façon disproportionnée du manque d’occasions et d’un accès inégal aux filets sociaux de sécurité » Des millions d’emplois ont été détruits dans le secteur informel qui occupe plus de 80 % des actifs dans la majorité des pays.

Il y a eu trois causes à cette récession. La première est la chute du cours des matières premières extractives qui procurent à plus de la moitié des pays de la région une bonne part de leurs recettes d’exportations et budgétaires. Durant l’année 2020, le cours de l’or noir a atteint à la baisse un niveau inégalé depuis 2004. Dans le sillage de l’effondrement des cours du pétrole, ceux de certains métaux (aluminium, étain, zinc et plomb) ont connu le même sort. À la baisse des cours de ces ressources minérales, il faut associer la diminution des volumes exportés en rapport avec la baisse de la demande mondiale. La deuxième cause est liée aux restrictions à la circulation des biens et des personnes (fermeture des frontières) pour éviter la propagation du virus qui ont entraîné des conséquences importantes sur les recettes en devises et sur l’approvisionnement des pays. Le tourisme et le transport ont été les secteurs les plus touchés par la suspension des vols à destination de l’Afrique. Il est à noter également que la diminution des transferts des migrants (-20 %) qui représentent 4 % du PIB du continent a entraîné des conséquences sur les recettes en devises. Les mesures de confinement prises dans certains pays, notamment en Afrique du Sud, ont eu un fort impact sur l’activité économique. Dans le reste de la région, les mesures telles que la fermeture des écoles, les couvre-feux et interdictions de rassemblement qui ont été prises ont influé de manière importante sur l’activité productive et porté de rudes coups au secteur de l’économie dite informelle. En l’absence de mécanismes de sécurité sociale dans beaucoup de pays, la consommation des ménages a fortement baissé.

Les mesures prises pour lutter contre la propagation du virus ont contraint les États, notamment les plus riches, à augmenter la dépense publique en accordant des aides aux entreprises et en soutenant la consommation des ménages. Les mesures budgétaires découlant de ces initiatives ont représenté 2,5 % du PIB de la région. Mais la majorité des pays subsahariens, comme on pouvait s’y attendre, a rencontré des difficultés à mettre en place ces politiques contracycliques. À l’augmentation des dépenses publiques qui a touché tous les pays s’est ajoutée une diminution drastiques des recettes budgétaires, conséquence de la baisse de l’activité. Dans le même temps, le continent a connu d’importantes sorties de capitaux (4 milliards de dollars). Face aux difficultés induites par la pandémie, les ministres des Finances et les banques centrales du G20 ont décidé le 15 avril 2020 de suspendre le remboursement de la dette de 76 pays à travers le monde, dont 40 en Afrique. La Chine a pris des mesures similaires pour soulager les finances publiques des pays africains. La pandémie de COVID-19 a apporté une preuve supplémentaire des inégalités mondiales des termes de l’échange, les bases de productions et d’exportations trop étroites, la vulnérabilité aux chocs exogènes (y compris aux fluctuations des flux de capitaux) des pays africains. La guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine a entraîné des conséquences qui se sont ajoutées à celles qui sont mentionnées plus haut. Elle a entraîné une augmentation des prix notamment celles des denrées alimentaires, une montée des taux d’intérêt et la dépréciation des monnaies. L’ensemble de ces conséquences a entraîné des tensions budgétaires qui rendent la dette insoutenable pour de nombreux pays.

La situation économique et budgétaire de nombreux pays africains est porteuse de grands risques sociaux, politiques et sécuritaires. Il est temps de tirer la sonnette d’alarme pour rappeler les pays riches à leurs responsabilités, mais également d’en appeler à une plus grande justice dans le système économique mondiale. Au cours de la pandémie, des changements avaient été promis par les pays du G7. Emmanuel Macron avait juré, la main sur le cœur, que la France prendrait sa part pour ce changement de paradigme. Hélas, le mercredi 14 décembre 2022, au cours du vote de l’Assemblée générale des Nations unies de la résolution pour un nouvel ordre économique mondial, la France a joint sa voix aux pays de l’OCDE et aux paradis fiscaux pour s’y opposer. Cette résolution a été néanmoins adoptée par 123 voix contre 50. Elle fait dorénavant partie du corpus juridique et politique de lutte contre les inégalités dans le monde. Cette une avancée que nous avons le devoir de concrétiser. Les communistes devront être à la pointe de ce combat.

Félix Atchadé
membre du collectif Afrique du PCF
et de la commission des relations internationales