La perspective d'un désastre au Maghreb et au Moyen-Orient

En dépit des faibles niveaux de contamination des populations par le Covid-19, les crises sanitaire et pétrolière qui se greffent sur les crises structurelles antérieures ouvrent pour les populations du Moyen-Orient et du Maghreb une période de grave instabilité sur le plan économique, social, politique mais aussi international.

Des espaces peu touchés par le Covid-19

À l'heure actuelle, la catastrophe épidémiologique annoncée au Maghreb et au Moyen-Orient n'a pas eu lieu. À l'exception de trois foyers de contamination majeurs, la plupart des pays ont des niveaux de diffusion du virus très inférieurs à ceux de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Pourtant, les densités de population, la défaillance des systèmes de santé et de nombreuses situations de guerre constituaient un puissant facteur de sur-exposition.

Israël, la Turquie et l'Iran ont été et demeurent des foyers notables. Pour l'essentiel cette situation résulte d'une mauvaise gestion de la pandémie et de stratégies tardives. Téhéran et Ankara ont nié durant les premières semaines l'ampleur de la maladie. Partout, les mesures de confinement ont été repoussées pour des motifs économiques tandis que la persistance des liaisons aériennes, la fermeture retardée des écoles, le maintien des élections et des pèlerinages (Iran) ou des cérémonies religieuses (Israël) ont précipité la contagion. Les autorités ont été prises de vitesse et ont dû faire face, dans un premier temps, à des pénuries qui résultent de coupes effectuées dans les budgets sanitaires depuis deux décennies. Pourtant, en dépit d'inégalités régionales et d'une médecine à deux vitesses, ces pays disposent d'un système sanitaire de qualité pour le Moyen-Orient et de ce fait sont parvenus à infléchir les courbes.

Au Maghreb, dans les pays du Golfe, en Palestine ou en Irak, la pandémie est pour l'instant contenue. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à expliquer ce phénomène: la jeunesse de la population, l'expérience dans la gestion des pandémies, la faiblesse des réseaux de transports et le relatif retrait des flux économiques et touristiques liés à la mondialisation. À cela s'ajoute une réaction rapide des autorités, souvent autoritaire, avec la mise en place d'un état d'urgence, la fermeture des universités, des marchés, des lieux de cultes, l'interdiction des rassemblements et lorsque cela était possible des dépistages soutenus. En raison de la faible confiance des populations dans les autorités politiques et les structures sanitaires, celles-ci ont respecté avec rigueur les mesures de confinement en dépit des incessants discours culpabilisants des autorités à leur égard. Cependant, partout se pose la question de la fiabilité des chiffres et des informations fournies par les gouvernements et les médias qui leur font allégeance. Enfin, certains pays en guerre (Syrie, Yémen, Libye) ne fournissent aucune statistique. La situation actuelle ne présage en rien de l'avenir car les contaminations se poursuivent.

Un désastre économique et social

La crise du Covid-19, amplifiée par la chute des prix du pétrole, se greffe sur une crise économique et sociale structurelle que les guerres récurrentes et les politiques néolibérales ont déchaîné. Le chômage massif et les inégalités côtoient le pillage, la prédation et la corruption des classes dirigeantes qui ont ruiné leur pays respectif.

En dépit d'une demande croissante, l'arrivée du pétrole de schiste, pour l'essentiel américain, a contribué, de manière durable, à une baisse des prix. Plusieurs facteurs ont conduit à un emballement. Avec la crise du Covid-19, la consommation mondiale s'est brusquement effondrée. En mars, un sommet OPEP-Russie destiné à limiter la production pour assurer une remontée des cours s'est traduit par un échec, si bien que l'Arabie saoudite a augmenté sa production pour mettre en difficulté les pétroliers américains. Le baril est alors passé sous la barre des 30 dollars. Face à cette plongée, Moscou et Riyad ont trouvé en avril un terrain d'entente et misent désormais sur un retour de conjoncture et une remontée des prix.

Les pays producteurs du Golfe, de l'Irak ou de l'Algérie, totalement dépendants de cette ressource, sont frappés de plein fouet. L'économie irakienne est financée à 97% par ces exportations. De ce fait, les déficits budgétaires risquent d'être abyssaux et de violentes politiques d'austérité se profilent. Déjà, les salaires des fonctionnaires, les pensions des retraités, dans de nombreux pays, sont amputés ou tout simplement suspendus.

Le ralentissement de l'activité et la fermeture des frontières mettent les économies à l'arrêt. Les tissus productifs déjà exsangues sombrent, certains systèmes bancaires sont au bord de la faillite comme au Liban tandis que les chaînes de sécurité alimentaire se détériorent. Importer devient plus difficile, favorisant les problèmes d'approvisionnement et une inflation galopante. Partout, les conditions de vie précaire, le chômage et la pauvreté explosent: 40% des Irakiens et désormais 50% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté, tandis que les 3/4 des habitants de Gaza ne disposent que de l'aide internationale.

De toute évidence, les économies rentières fondées sur les hydrocarbures ou sur le tourisme (Maroc, Tunisie) ne peuvent plus assurer les équilibres politiques et sociaux. Les États qui en ont les moyens comme la Turquie, l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis puisent dans les réserves et maintiennent leur activité économique avec de grands projets d'infrastructures. Les autres États font appel à la Banque mondiale ou au FMI (Irak, Liban, Tunisie) sans succès pour l'instant. Ces institutions financières internationales conditionnent leur aide à des réformes néolibérales qui ont plongé ces pays dans le chaos.

Un regain d'autoritarisme

Le Covid-19 tend aujourd'hui à renforcer les pouvoirs en place qui profitent de la situation pour accentuer la répression et briser les mouvements sociaux. Pour l'instant les différents gouvernements gardent la main et donnent l'impression de consolider leur assise en gagnant en légitimité. Bachar al-Assad instrumentalise la crise pour apparaître comme le seul recours, les autorités iraniennes évoquent les désastreuses sanctions américaines pour se dédouaner de leurs responsabilités tandis que Mohammed VI régulièrement critiqué pour son absence du royaume tente d'occuper le terrain. Quant à B. Netanyahou, le virus est devenu son allié pour se maintenir au pouvoir.

Les régimes autoritaires ont repris partout leur offensive contre les forces démocratiques et pacifistes. R.T. Erdogan procède à l'arrestation de tous ceux qui critiquent la gestion sanitaire du gouvernement. Il poursuit sa guerre contre le Parti démocratique des peuples (HDP) en destituant des maires démocratiquement élus et en emprisonnant leurs parlementaires. En Égypte, des militants des droits humains, des blogueurs et des journalistes meurent sous la torture dans les prisons. En Algérie, après la suspension du Hirak, la vague répressive connaît une nouvelle vigueur tandis qu'en Palestine les assassinats et les incarcérations n'ont jamais cessé.
Le sort des prisonniers politiques est également une grande source d'inquiétude. Afin de limiter la contagion dans les prisons, de larges lois d'amnistie ont permis la libération de milliers de condamnés de droit commun dont un chef de la mafia lié de l'extrême droite en Turquie. Les prisonniers politiques restent partout emprisonnés dans des conditions difficiles et presque toujours privés de soins. Il en va ainsi de S. Demirtas, de M. Barghouti, des militants Sahraouis ou du Rif et de tous ceux qui croupissent dans les geôles iraniennes, saoudiennes, bahreïnies...

Il serait pour autant aventureux de considérer que le Covid-19 soit une aubaine pour ces régimes autoritaires dont la popularité est chancelante. Quoiqu'il en soit, ils seront comptables des résultats et des conséquences de la lutte contre la pandémie. Certes, les mouvements de contestation qui ont débuté en 2019 ont été mis entre parenthèses, mais sur le fond rien n'a changé car leurs causes structurelles n'ont pas été traitées. S'il est difficile de prévoir l'évolution de la contestation, celle-ci n'a en rien disparu et reprend même de la vigueur. De premières manifestations ont eu lieu au Liban et en Irak tandis que le Hirak va se poursuivre en Algérie.

La poursuite de l'état de violence

Pendant le Covid-19, les guerres sanglantes qui fragmentent la région se poursuivent, ouvrant une nouvelle phase d'instabilité que les ingérences des grandes puissances et des puissances régionales nourrissent.

Les réfugiés sont à la confluence de tous les malheurs qui frappent les peuples de la région. Particulièrement nombreux au Liban, en Turquie et en Jordanie, ils sont instrumentalisés par le pouvoir en place qui en font des boucs émissaires désormais cantonnés dans des camps. Privés de ressources, ils ne peuvent plus se nourrir ou fuir vers l'Europe barricadée derrière ses frontières.

Depuis le départ unilatéral des États-Unis de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, l'escalade militaire s'amplifie et Washington, par sa politique de sanctions draconiennes, entend obtenir le renversement du régime. Les alliés de Washington à Riyad et Tel-Aviv multiplient les provocations dangereuses. L'Arabie saoudite et Bahrein parlent d'agression iranienne à propos du virus, même si le Qatar, les Émirats arabes unis et Oman apparaissent plus mesurés.

Le plan Trump contre le peuple palestinien permet à Israël d'accentuer sa politique de colonisation et d'apartheid. Le nouveau gouvernement entend, à partir du 1er juillet, annexer la vallée du Jourdain et une partie de la Cisjordanie en violation du droit international mais aussi implanter illégalement de nouvelles colonies.

Au Yémen, la trêve en vigueur n'empêchera pas le retour des offensives emmenées par la coalition conduite par Riyad, même s'il existe une volonté de sortir du bourbier. Quant à la Turquie, elle poursuit pendant la pandémie sa politique d'agression en Syrie (Afrin) et son soutien aux groupes djihadistes d'Idlib. Son engagement en Libye prend une tournure inquiétante dans la mesure où Ankara fait pression pour entraîner Tunis dans ce conflit.

Ces guerres constituent un terreau favorable à la résurgence de groupes terroristes et plus particulièrement l'État islamique en Syrie et en Irak. Certes Daesh a perdu son entité territoriale mais conserve une base sociale dans les communautés sunnites. Plusieurs facteurs favorisent sa durabilité: la persistance des gestions communautaires, le désengagement de coalitions internationales et l'abandon des Kurdes, l'absence d'accords entre Erbil et Bagdad dans la gestion des territoires contestés et les exactions des milices chiites contre les civils sunnites.

La lutte contre la pandémie amènent plusieurs observateurs à poser la question de la levée des sanctions, notamment contre l'Iran, afin de permettre l'importation de produits humanitaires. Pour venir à bout de la crise, il y a la nécessité d'une plus grande coopération internationale.

Avec le déconfinement qui s'annonce, l'exigence de solidarité internationaliste doit grandir pour que s'imposent les exigences de liberté, d'égalité, de dignité et de paix des peuples du Maghreb et du Moyen-Orient.

Pascal TORRE
responsable-adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et et du Moyen-Orient